Broadcast – Haha Sound

broadcast_hahasoundAnnée de parution : 2003

Édition : CD, Warp – 2003

Style : Dream Pop Psychédélique, Space Age Pop, Musique électronique

Note : ★★★★★

« I’ll always be here if you want to color me in » nous dit notre Trish adorée sur la pièce séraphique qui introduit ce 2ème disque officiel de Broadcast. Cette chanson nous demande poliment qu’on lui fasse une petite place dans notre vie. Et elle est patiente. Elle sait qu’elle y prendra uniquement sa place petit à petit, au fil des écoutes, au gré des années qui passent et nous changent, des joies et des peines, des expériences nouvelles… Elle nous accompagnera à travers tout cela et prendra progressivement ses teintes fantasques, magnifiques, surréalistes… Et on ne pourra plus jamais s’en passer de cette chanson magique. Douce nostalgie d’un futur qui ne s’est pas encore révélé.

Cette merveille de dream pop flottante passée, Broadcast nous assène tout de suite leur morceau le plus lourd et robotique ever. « Pendulum » est un brulot space-rock qui abrite en son sein bon lot de dissonances électriques. La rythmique est à mi-chemin entre le post-punk et le kraut-rock. Les sonorités empruntent à la musique industrielle et au no-wave (on pense presqu’à Suicide). Déjà en deux titres, Broadcast nous démontre l’expansion de leur vocabulaire sonore ahurissant. On retombe en territoire un peu plus connu avec un « Before we Begin » qui rappelle le précédent album. My Bloody Valentine passé dans le collimateur de Joe Meek. Beauté plastique de la pop 60s croisée à un prod électronique rétro-futuriste. Que c’est beau. Et pour continuer dans le resplendissant, on se tape ensuite une reprise/adaptation du thème principal du film Valerie and her Week of Wonders, chef d’oeuvre de la nouvelle vague tchèque et un des films de « genre » les plus éblouissants qui soient (c’est accessoirement un de mes 10 films préférés, tous genres confondus). On savait que le couple Keenan/Cargill avaient de bons goûts musicaux mais ce sont aussi de fins cinéphiles ! Vraiment plaisant de retrouver Broadcast dans un contexte plus folk (bien que trituré de bidouillages électro-analogiques).

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Autre beau morceau de dream pop gorgé d’échos lancinants, « Man is Not a Bird » est surtout remarquable pour sa batterie à la fois agile et aquatique. Ceci est Kraut-licious à souhait. Le petit coda nous rappelle les travaux électroniques de Delia Derbyshire et c’est évidemment exquis ! Le rêve discographique se poursuit jusqu’au petit instrumental très chargé « Black Umbrella », encore un hommage réussi à la musique de bibliothèque (j’adore cette appellation). « The Ominous Cloud » est une autre de mes chansons préférées du disque. Apesanteur céleste dans cette mer de nuages chargés d’une électricité psychotronique. « Distortion », c’est Broadcast en mode Sun Ra Arkestra. Dissonant, confus, instable, expérimental à fond ; avec ces rythmiques jazzy/avant-gardistes. Et on dirait bien que Stockhausen s’est invité à la jam-session sur la fin ! « Oh How I Miss You » est une très courte complainte dont le message est, aux dires de plusieurs, adressé à leur amie Mary Hansen, guitariste/chanteuse de Stereolab qui, lors de l’enregistrement du disque, venait de périr dans un tragique accident 😦

« The Little Bell » est une de ces berceuses énigmatiques-minimalistes dont seul Broadcast a le secret. Autre grand moment de musique qui arrive tout discrètement : « Winter Now ». Je l’écoute présentement alors que par la fenêtre j’admire la chute majestueuse d’une cohorte de flocons et je me sens tout chose… Cette pièce est pure magnificence. On dirait un de ces girls-group 60s produits par le psychopathe préféré des petits et grands (Phil « Sirop » Spector) mais au ralenti et avec encore plus de reverb. Le mur de son du refrain m’amène toujours des images de ces niveaux hivernaux dans Mario 64, pour une obscure raison. Enchanteur as Fuck. Comme à leur habitude, Broadcast nous balancent leur superbe en pleine gueule avec le dernier titre du disque : « Hawk ». Encore un mystère que cette pièce de cloture qui est aussi rêveuse que chargée. Des touches Morriconesques (les arrangements, bordel de bordel !), une rythmique hypnotique et une Trish plus désincarnée que jamais… Le genre de morceau à écouter avant d’aller se coucher (rêves étranges garantis !).


Encore une fois, Broadcast frappe très fort (mais avec toute leur douceur caractéristique). HaHa Sound est facilement un des meilleurs disques pop du 21ème siècle ; le genre d’album qui rend un hommage éloquent au passé tout en étant résolument tourné vers l’avenir. Des mélodies énormes. Des arrangements somptueux. Des chansons impérissables. Un chef d’oeuvre.

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Broadcast – Work and Non Work

broadcast-work-and-nonworkAnnée de parution : 1997

Édition : Vinyle, Warp – 2015

Style : Dream Pop, Space Age Pop Psychédélique, Trip-Hop, Électro-pop, United States of America worship (le groupe, pas le pays).

Note : ★★★★½

Dès que je me mets un Broadcast dans le mange-disque et que les premières notes éthérées et doucereuses s’envolent dans l’éther (devenu sublimé et brumeux par l’occaz), je me sens tout chose… Mon cerveau se remémore des souvenirs vaporeux d’événements que je n’ai pas vraiment vécus… Une intense nostalgie pour un passé uchronique m’assaille tous les sens. Car quand on écoute la musique de ces Anglais amoureux d’atmosphères libidineuses et de textures ouatés, on a vaguement l’impression de se trouver à une de ces sauteries musicales dans un club illicite (car illégal) de l’Angleterre fin sixties ; plus particulièrement celle de l’univers dystopique du Maître du Haut Chateau (de Philip K. Dick, ce géant de la SF). Magnifique propriété atemporelle qu’est celle de la pop-psychée de Broadcast. Voyage dans une mer de sons familiers et qui ont pourtant cet aspect complètement « autre » (que je ne saurais mieux définir que par ce mot).

L’album présentement chroniqué n’en est pas vraiment un… C’est en fait une compilation des débuts du groupe (singles et EP). Mais la cohésion est telle que je le considère comme une oeuvre unifiée. La matière sonore de Broadcast était déjà cohérente et maitrisée à souhait dans ce ramassis d’essais merveilleux. Leurs influences multiples et vénérables (USOA, Silver Apples, White Noise, Morricone, la BBC Radiophonic Worshop, l’exotica, le yé-yé, la library music, la sunshine pop, le dream pop, le lounge, la musique électro-acoustique et les trames sonores de films de genre 60s/70s) sont déjà toutes présentes et même si le désir de rendre hommage est assez évident, ils réussissent toujours à ce que la somme de ces influences donne un tout résolument unique et personnel. Ça a toujours été la force première de ce groupe. Ça et des chansons complètement folles, elles-mêmes transpercées de parts et d’autre par ce spectre sonore analogiquement hanté. Parce que la musique de Broadcast est un fantôme. Mais un fantôme bienveillant qui possède la collection vinyle complète d’Esquivel.

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FACE A : Le disque débute avec le très downtempo « Accidentals ». Opium-musique porté par des claviers vieillots et cette prod jazzy-trip-hop un peu distante. C’est un peu comme si Victorialand des Cocteau Twins avait été enregistré en 1968 par un groupe de freak-pop, avec une prod signée Jean-Jacques Perrey et/ou Jean-Claude Vannier. Délicieuse et lascive introduction que voilà. On se tape ensuite le premier succès mineur du band, « The Book Lovers », pièce qui avait réussit à rejoindre un plus vaste public vu qu’elle figurait dans la bande son du premier Austin Powers (et ne faisait pas pâle figure à côté du génial « Incense and Peppermints » de Strawberry Alarm Clock). Ici, c’est l’opulence. Arrangements morriconesques (période lounge-giallo), cordes concupiscentes, batterie kraut, échantillonnage sonore à foison, claviers miraculés et au coeur de tout cela : la voix magnifiquement ensorcelante de Trish Keenan (une de mes chanteuses préférées de tous les temps). Une voix superbement posée, douce, juste, faussement frêle et toujours empreinte d’un profond mystère. C’est beauuuuuuu !!! Et accessoirement, cela aurait fait un foutu bon thème de James Bond ! Un petit coda très Boards of Canada (du genre « musique de fond d’un vieux documentaire sur la migration des saumons d’eau douce ») fait alors place à la géniale « Message from Home ». L’influence du grand Ennio dans sa période freak-beat-psych est encore bien présente dans le choix de l’instrumentation et ces breaks de batterie alléchants. « Phantom », c’est quand Mort Garson s’invite au studio le temps d’une berceuse instrumentale spécialement composée pour les poissons solubles (de Breton). La première moitié du disque se termine sur « We’ve Got Time » qui aurait fait un super thème d’épisode de Dr. Who ou autre film de SF obscur et nébuleux. Le travail sur les claviers est ici singulièrement réussi/inusité.

FACE B : C’est un « Living Room » entrainant et folichon qui introduit ce deuxième côté. Ce morceau plaira forcément aux fans finis de Stereolab (comme moi) vu un passage très kraut-rock au centre de la pièce. De plus, le titre me donne le goût de passer un après-midi dans le salon du couple Cargill/Keenan (à écouter des obscurités sur vinyle ou se mater des perles de la nouvelle vague tchèque). On retourne dans la langueur avec « According to no plan », piste très particulière… C’est une autre berceuse fantasmatique, obtuse, entre rêve et cauchemar, bourrée à pâmoison de claviers planants/ronronnants que n’auraient pas renier nos amis de White Noise. S’ensuit ma chanson préférée de toute la compilation : « The World Backwards ». Aaaaah, ce morceau !!! Cette basse ultra-cool, cette tapisserie sonore qui vient colorer le tout de teintes kosmiques, ce refrain enchanteur qui me fait lever tous les malins petits poils de mon entité corporelle, cette putain de voix magique (Trish, je t’aime !), ce passage très « Jaromil Jireš » où le rideau se lève et on entrevoit cet autre monde cabalistique qui n’est que le reflet diffus de notre réalité… Through the looking glass… Facilement un de mes 10 morceaux préférés du groupe. Le disque se conclut sur la bien nommée « Lights Outs ». Broadcast aime bien terminer leurs offrandes discographiques sur une énigme sonore bluffante… nous laissant errer à la frontière de cet autre univers évoqué plus haut. C’est pleinement réussi avec ce morceau de cloture divinement extra-terrestre (ces claviers, bordel !).

Bref, donc, voilà… Que ceux qui disent que cette compil est dispensable se taisent sur le champ ! De toute façon, TOUT est essentiel dans la disco de Broadcast. Et cette courte compilation est un point d’entrée idéal dans l’univers fascinant du groupe.

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Panda Bear – Person Pitch

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Édition : CD, Paw Tracks – 2007

Style : Collage surréaliste, Psychédélique, Surf Pop, Sunshine Pop, Ambient, Exotica, Disque expérience

Note : ★★★★★

Bonjour / Good Morning chers passagers. Vous pouvez déboucler vos ceintures en laine minérale et ornées de fleurs hawaïennes. Vous êtes arrivés à destination : le cerveau de Brian Wilson pendant les enregistrements chaotiques de « Smile » première mouture (n’oubliez pas votre casque de pompier !!!)… Noah Lennox est votre sympathique pilote mais il préfère vous avertir : il y avait du LSD dans tous les articles du menu servi à bord (oui ! même dans le « sans gluten » !). Si vous vous disiez justement que ça brillait drôlement dans votre champ de vision (en plus des zèbres qui explosent en firmaments laiteux et des ours chapeautés de FEZ multicolores et jouant du glockenspiel avec une ferveur toujours renouvelée), vous en connaissez maintenant la raison !

Percussionniste et chanteur du groupe Animal Collective, Noah (alias l’Ours Panda) livre son deuxième album solo en la forme de ce « Person Pitch » psychédéliquement vôtre. Ce disque est un sale trip, mes amis. Un genre de croisement contre-nature entre « Martine à la plage » et « 2001 Space Odyssey », avec en prime (et pour le même prix !) un peu de ukulélé pour les amateurs. Ou si vous préférez : c’est un pique-nique embrumé sur une plage interstellaire (et bordée par une mer d’astéroïdes) où dansent des chamans habillés de toges en diamants. Et au loin, on entend d’irréels chants de baleines fantômes s’entrechoquant au scintillement sonore des étoiles. Je sais… il n’y a pas réellement de sons dans l’espace. Mais « Person Pitch » est loin d’être réel. C’est plutôt un beau rêve dont on se réveille armé d’un sourire de défoncé mental et dont on à peine à se rappeler les moindres détails. On sait juste que c’était plaisant et positif. Et qu’on aurait donc le goût de manger 18 toasts sur un restant de braises de feu de camp.

Basé à 90% de samples diverses, l’oeuvre se veut un hommage ambiant-maximaliste à la Beach Muzik des années 60. Ce n’est pas un album à écouter en faisant votre vaisselle ou en faisant le ménage de votre chaumière (à part si vous accordez des qualités lysergiques à ces tâches ménagères… et là, je vous trouverais encore plus bizarroïdes que moi). L’écoute se fait mieux alors que votre postérieur est solidement posé sur un divan moelleux ou même dans votre lit, dans un état semi-comateux (avec l’apport non négligeable de bons écouteurs). Et là, vous entendrez la magie s’opérer. Et vous aussi, vous serez porté par ces guitares apaisantes, ces xylophones sucrés, ces chants électro-grégoriens, ces percussions tribales branchées sur un voltage très approximatif, ces synthés dérangés, cette voix qui se permute en milles et unes galaxies bruitatives… Et vous tomberez en amour avec cette ambiance cosmique totalement unique.

Un album à ranger à côté de « California » de Mr. Bungle et bien évidemment, « Pet Sounds » des Beach Boys.

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Animal Collective – Strawberry Jam

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Édition : CD, Domino – 2007

Style : Neo-Psychedelia, Électro, Noisy Pop

Note : ★★★★

Strawberry Jam est un monstre-pop maximaliste dégoulinant de milles et unes couleurs toutes plus flamboyantes les unes que les autres ; une overdose de sucre mélodieux (shooté à même les veines), l’équivalent musical d’un souper aux chandelles où le plat de résistance consiste à une montagne de biscuits géants (aux choco-miel-pacanes-caramel-beurre-de-pinotte-céleri-avocat-FOLIE) accompagné de jus de pamplemousse potentiellement radioactif et brillant sous les reflets de la flamme oscillante (+ feux d’artifices en fond arrière)… Fini le freak-folk enfantin et les chansons de feu de camp sous acide de Sung Tongs. Envolés le rock-indie déstructuré et les divagations minimalistes de Feels. On a maintenant affaire à de l’électro-pop hyperactif (Capitaine ! Nous dénotons une opulence de claviers à l’horizon ! Tribord toute !!!), de la marmelade-pop joyeuse et violente, d’imposantes piécettes saturées d’un million d’éléments sonores incongrus et géniaux, du « Life-Metal » (le contraire de « Death », vous saisissez ?) porté par les cris intempestifs d’un Avey Tare possédé. Car, là où Person Pitch est le bébé de Panda Bear, Strawberry Jam semble surtout être l’œuvre de ce cher Avey, SA vision mégalomane de ce que la pop devrait être : des mélodies contagieuses, des guitares qui rugissent soudainement, des tonnes de couches de claviers, des cris de dinosaures par ci par là, du tape-cymbale sans queue ni tête, des explosions de bonheur, des harmonies répétitives se répercutant en mantras approximatifs, des paroles aussi belles et confuses (le monde des rêves), une panoplie de samples d’origine inconnue et ce sentiment omniprésent de « je sais pas du tout où ces mecs veulent en venir mais je tripe salement ».

Et puis il y a les chansons, toutes plus cool les unes que les autres. Le tout débute dans l’euphorie la plus totale avec l’incroyable single « Peacebone » (et son clip tentaculaire gothico-gluant – épileptiques s’abstenir soit dit en passant) qui t’assomme avec un batte de baseball en métal bleu nommé « bonheur ». Ça commence par de l’électro analogique sursaturé (vintage keyboards RULEZZ !) avant de se muter en une quasi-campagne de publicité pour le Ritalin (au 2ème degré). Une chanson pop hyperactive (« BONEFISH ») qui veut t’éclater la tronche et t’ensorceler jusqu’à la fin des temps. LA toune que tu vas chanter comme un con dans la rue à 4 heures du mat, quand tu rentres chez toi (fin saoul). La première moitié du disque va bon train, portée par les pépites brian wilson-esques que sont « Unsolved Mysteries » et « Chores » (des toutous qui prennent vie dans la chambre d’une gamine de 6 ans et qui agrippent des instruments fisher price en plastique afin de laisser libre cours à leurs pulsions musicales enfouies). L’album atteint un premier sommet de grâce avec « For Reverend Green », fulgurante montée vers des cieux étoilés – où les effets claviéristiques géniaux de Geologist s’entremêlent aux hurlements d’un Avey Tare fanatique et aux hululements d’un Panda Bear apaisé. Un grand moment de grâce inspiré et d’émotion brute. Même scénario sur « Fireworks », morceau infusé de trance qui te secoue l’âme comme un cocotier et qui te donne le goût de danser comme un défoncé mental (dans la jungle – avec des tigres et des chimpanzés gentils). « #1 » est un ovni sonore des plus splendides. C’est Philip Glass et Steve Reich à 20 ans qui se partent un groupe de space-pop (et qui portent des habits de cosmonautes. Pourquoi ? Juste parce que). « Winter wonder Land » est une violente onde positive qui te frappe de plein fouet et qui te donne le goût de sortir de chez toi déguisé en bonhomme carnaval et de distribuer des cannes en bonbon à tous les habitants du quartier. « Cuckoo Cuckoo » est probablement ma pièce préférée du disque : un marais sonore splendide où il fait bon se perdre (piano ensorcelant style « Eno » à l’appui) avec au dessus milles explosions ahurissantes. Des feux d’artifices en plein sous-bois, un soir de fin d’hiver… L’album se termine dans la beauté enfantine d’un « Derek » tropical, seule pièce où l’on reconnaît l’apport plus important de Panda Bear (ça aurait été un coda somptueux pour Person Pitch)

Un autre très bon disque dans une des discographies les plus représentatives de ce 21ème siècle cinglé.

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