15 ToUNES – EP01 – Louis-Alexandre Beauregard

J’ai l’insigne honneur de vous présenter le premier épisode du nouveau projet de Musik TaTARI (le blog musical préféré des joueurs de marelle unijambistes et des lamas mangeurs de chair humaine) : les fabuleuses 15 TOUNES !

L’idée de base (très originale, j’en conviens) m’est venue lorsque j’ai demandé à mes amis et connaissances qui versent aussi dans la mélomanie aiguë de me pondre chacun/chacune une liste des 15 chansons/pièces/oeuvres musicales qui les ont le plus marqués au travers de leur vie. Comme vous savez tous (oui, même toi dans le fond de la pièce) : je suis un éternel curieux, toujours avide de nouvelles découvertes sonores incongrues. Et un nombre incalculable de ces découvertes se sont faîtes via l’entremise de passionnantes discussions avec d’autres amateurs de musique. Vous en conviendrez : autant l’appréciation de la musique peut se vivre de manière intensément personnelle, le plaisir n’est que décuplé lorsqu’elle est partagée avec d’autres personnes qui nous sont chères.

Donc, via un message sur le livre de faciès, j’ai sollicité plein de gens que j’estime à me sortir leur 15 morceaux marquants, exercice fort difficile en soi. Contre toute attente, j’ai eu un taux de participation ma foi très élevé ! L’intérêt était là. Et je me suis dit que je n’allais pas égoïstement garder ces magnifiques listes pour moi seul. Que nenni monseigneur !

La musique est partage. J’adore vous partager mes goûts. Et j’aime tout autant vous partager ceux de ces belles personnes. Cela se fera sous la forme d’une playlist hebdomadaire où je vous présenterai le jardin musical secret d’un ou d’une de mes acolytes.


Pour ce premier volume des 15 TOUNES de Musik TaTARI, l’élégant, sympathique, féérique et biconvexe Louis-Alexandre (accompagné de son inséparable flamant rose) nous offre une délectable sélection musicale.

Au menu : du Jazz spirituel LIBRE, du new age minimaliste qui fait chaud à l’âme, du rock choucroute bien funky, de belles chansons qui remuent tous les malins petit poil de l’entité corporelle, du drone narcotique qui vous fera voyager bien loin de cette même entité, de l’avant-folk, de la musique africaine ainsi que les éternels Garçons de la Playa !

Come il le dirait lui-même si bien : Come WONDER with him !

Tracklist :

01. Alice Coltrane – Shiva-Loka
02. Joanna Brouk – The Space Between
03. Can – Halleluwah
04. Silver Jews – I Remember Me
05. Townes Van Zandt – For the Sake of the Song
06. Roy Orbison – In Dreams
07. Daniel Higgs – Love Abides
08. Thee Silver Mt. Zion – Ring Them Bells
09. Eliane Radigue – l’île Re-Sonante
10. Mulatu Astatke – Yèkèrmo Sèw (A Man of Experience and Wisdom)
11. Pink Floyd – Cirrus Minor
12. Pharoah Sanders – Elevation
13. Serge Gainsbourg & Brigitte Bardot – Bonnie & Clyde
14. Marijata – I Walk Alone
15. The Beach Boys – Sloop John B

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Joni Mitchell – Song to a Seagull

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Édition : CD, Reprise – 1987

Style : Chamber Folk, Singer-Songwriter

Note : ★★★★

Moment cute/kitsch : Quand j’écoute Joni, je pense immanquablement à ma maman. Ma mère et moi partageons un amour sans borne pour bon nombre d’artistes musicaux (Genesis et Pete Gab en solo, Gentle Giant, Yes, les Beatles, Blur… pour ne nommer que ceux là). Mais c’est vraiment quand j’entends la voix angélique/somptueuse de Joni Mitchell que je pense le plus à elle. C’est sa chanteuse préférée, sans conteste. Son artiste préférée même (et dans le cas de Joni, on peut aisément parler d’artiste totale sur tous les plans). Celle qui l’accompagne depuis son adolescence. Celle dont la sortie des albums (tous plus riches les uns que les autres) ont ponctué les différents moments de sa vie ; la musique folk éthérée de la Canadienne sublimant ses moments d’euphorie, la réconfortant dans ses moments de doute ou de tristesse. Joni évoluait. Ma mère aussi. Je ne peux dissocier les deux. Elles sont liées en moi.

J’écoute du Joni Mitchell depuis que je suis dans le ventre de ma mère. Je crois donc que c’est l’artiste que j’écoute depuis le plus longtemps. Je n’ai pas toujours été passionné de Joni. Mais dès que ma mère m’a donné la piqure pour de bon (vers les 15-16 ans), c’était décidé : Joni et moi, c’était pour la vie. Elle m’accompagnerait moi aussi dans mes joies, mes peines, mes réalisations, mes défaites, ma maladie mentale, mon angoisse dévorante, les moments charnières de ma vie (passés et à venir); du berceau au tombeau. Joni, c’est l’extension musicale de l’amour infini que j’ai pour ma mère. C’est le lien magique qui nous unit, à jamais. Et ceux qui trouvent ça fif (for a lack of better term), je vous souhaite des choses pas amusantes du tout (comme de vous coincer un testicule dans une porte de garage, genre).

Ce premier album de Joni est déjà une pure merveille. C’est Joni avec une guitare acoustique et (quelques fois) un piano. Que demander de plus de la vie ? Du Darkthrone ? Oui, en effet (car je suis un être polyvalent pour ceux qui l’ignorent). Les chansons sont toutes superbes. Les textes sont à se rouler par terre de bonheur (dans une prairie saskatchewannaise mystique/magique, avec du gazon qui ne tache pas les jeans).  Ça commence avec une des plus grandes chansons de Joni, « I Had A King ». Tout est déjà là : la voix ensorcelante qu’on dirait tout droit sortie d’une époque antique qui n’a jamais vraiment existé, ces arpèges de guitare qui te vont directement à l’âme, de la mélancolie à faire friser tous les malins petits poils du corps, des lumières diurnes éclatantes qui réchauffent tout l’être, de la beauté brute et bienveillante. « Michael From Mountains » = je veux annoncer quelque chose de très important à ceux qui ne ressentent rien en écoutant ce morceau : Vous êtes morts. Consulter un thanatologue. Il vous confirmera sans hésiter mes dires. Vous pourrez ensuite discuter des arrangements funéraires avec son collègue donc ce sera un deux dans un.

« Night In The City » et l’arrivée du piano enjoué de Joni (+ Stephen Stills à la basse), c’est l’astre vermeil qui se lève directement dans ta face après une nuit exaltante passée à festoyer et chanter autour d’un feu. « Marcie », c’est une histoire magnifique et toute simple… Même chose pour « Nathan La Franeer ». De la peinture sonore. On est submergé par des images très claires et définies à leur écoute… Incroyable talent qu’est celui de Joni pour raconter de belles histoires tristes. En fait Joni, c’est un peu le barde médiéval qui va de village en village pour partager ses récits de la vie quotidienne mais à sa façon bien particulière, à travers son regard prodigieux qu’elle appose sur toute chose.

Le deuxième côté de l’album n’est pas en reste, enchaînant ballades miraculées, berceuses pour adultes, bonbons doux/amer, légendes intemporelles… Le disque se conclut sur un « Cactus Tree » beau à faire pleurer le ciel.

David Crosby, qui a produit le disque, a avoué que son travail s’est limité à « avoir en gros appuyé sur le bouton enregistrer ». Je pense que ça résume le tout. Un premier opus discographique superbe sur toute la ligne. La note (signifiant pourtant « excellent ») est dure pour un disque de cette qualité… C’est que Joni n’a pas encore atteint son plein potentiel. Cela viendra bien assez rapidement.

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Swans – The Seer

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Édition : 2 CDs, Young God – 2012

Style : Expérimental, Post-Rock, Folk, Gothique, No Wave, Blues, Industriel, Drone, Noise, OVNI, Terreur, 21th Century Schizoid Men (& Women)

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Note : ★★★★★

Tiens… Jusqu’à tout l’heure (et c’était déjà planifié depuis des lustres, je n’avais juste pas trouvé les mots justes pour parler de cette… immensité), j’étais bien décidé à vous introduire enfin aux charmes abominables de « Soundtracks for the Blind », l’autre testament des Cygnes, leur album double de 1996 qui avait mis fin à leur existence jusqu’à la réanimation du monstre dévoreur de mondes en 2010 par son géniteur, le père Gira. « Soundtracks » a été une révélation aussi glaçante qu’orgasmique pour votre humble chroniqueur masochiste… Il y avait TOUT dans cet album-foutoir-déréglé, TOUT ce qui me foutait la trique en musique à cette époque : du noise-rock ravageur qui te décapait la matière grise sans aucune subtilité, du post-rock funèbre qui t’arrachait le cœur à main nue pour passer dessus à coups de rouleau-compresseur (piloté par un Steve Reich réincarné en antichrist dément, au regard de suie et aux lèvres bordées d’écume), du trip-hop technoïde à la sauce Jarboe, du folk tout droit sorti du dustbowl era, de l’indus apocalyptique, du rock nihiliste de fin fond de saloon perdu dans la nuit sans lune d’une ville fantôme du sud du Texas… Bref, « Soundtracks for the Blind » est GRAND. Et il demeurera toujours un de mes albums préférés de tous les temps.

Mais, finalement, après une introspection cérébrale complète et totale, je ne peux me résoudre à en parler (du moins, pas maintenant…), parce que « THE SEER » est encore plus GRAND, encore plus colossal, encore plus mythique, encore plus noir (était-ce possible ?), encore plus fou, encore plus dépravé, encore plus monolithique, encore plus hypnotique, encore plus TOUT. C’est le disque des Swans qui s’impose maintenant à moi comme le plus essentiel. C’est un disque-expérience. C’est l’album qui va trop loin et qui s’en moque. Michael Gira et ses acolytes déments vont au delà de vos cauchemars les plus terrifiants. Et ils en raffolent. Visions d’apocalypse, trous noirs dans un cosmos impie, douloureuses hallucinations opiacées qui tarissent le cortex de manière définitive et totale, mathématiques d’une certaine forme de chaos… L’espace temps n’a pour eux aucune importance. Ces missives possédées pourraient durer chacune une heure, un mois, un an… Ils vont au delà du temps lui-même. Ils sont à la recherche d’un absolu qu’on pourrait croire impossible, et pourtant, au fil de ces incantations-répétitives-jusqu’au-boutiste, ils le frôlent périlleusement, et ce, pratiquement en tout temps. C’te musique, c’est comme une étoile qui s’apprête à éclater en Supernova à tout moment pour détruire absolument tout, mais qui n’y parvient jamais…. Coït interrompu et brutalement vicieux s’il en est. Swans, tout en conservant le son élaboré sur le précédent opus (« My Father Will Guide Me Up a Rope to the Sky »), se cherchent sur ces 2 disques, cherchent à redéfinir l’innommable, se fondent en ténèbres sonores mouvantes, se noient dans le fleuve souterrain de la vie et de la mort, percutent l’irréel dans une course effrénée et sans fin…

L’Évangile selon Michael Gira. Voilà ce qu’est ce « The Seer », ou « le Voyant ». Ça s’ouvre sur « Lunacy », un espèce d’hymne désacralisé et post-apocalyptique qui fait autant penser à du Comus qu’au Nick Cave du début des Bad Seeds, avec en prime Alan Sparhawk et Mimi Parker du groupe Low qui entonnent ces chœurs dédiées à la folie. Dès cette première pièce, on comprend avec bonheur et horreur à quoi on à affaire. Ce son est communion. Ces musiciens sont dédiés à leur art et à cette vision totale et obsessive-compulsive de sieur Gira. C’est compact, lourd, carré, sans pitié et véloce à la fois. Et ça se termine avec cette guitare du sud et notre narrateur qui nous annonce que notre enfance est terminée… Quelle entrée en matière, non de dieu. « Mother of the World » est juste sans pitié. Cette rythmique, tudieu !!! (la percu est absolument mystifiante). Et dans cette répétition funeste dans laquelle se greffe des éléments faramineux, une voix dérangée et féline vient nous miauler un mantra incongru. Et là… silence. Et respirations saccadées. Puis ça repart comme un train bourré de nitro pour se fondre dans un coda psychédélico-psychotique de cordes acoustiques et de piano désespéré. La finale est vachement « godspeedienne » tout en évitant le sublime pathos de nos Montréalais préférés. « The Wolf » ou le squelette d’un morceau folk perturbé des années 40, avec ces field recordings pétrifiants qui viennent nous annoncer de grandes choses…

« The Seer » arrive. Petite anecdote personnelle. Après une journée intense de canot durant l’été 2012, je me suis endormi (après maintes bières) dans un petit chalet old school sans électricité, en écoutant « The Seer » sur mon lecteur mp3. Quand la chanson titre est partie, avec son délire de cordes quasi noise-celtiques, de cloches, de cornemuse ensorcelée, je me suis réveillé en sursaut et en sueur, dans l’obscurité totale, sans savoir où j’étais ni qui j’étais. Et j’ai eu la chienne en tabarnak. Le voyant, c’est 32 minutes en suspension dans un vortex d’anti-matière. Ça t’implose dans les oreilles et tu restes juste bouche-bée du début à la fin, un long filet de bave coulant au sol. I see it all, I see it all, I see it all, I see it all, I see it all… Fuck. Je l’écoutes présentement (alors qu’un orage dévaste le ciel nocturne, hachurant l’azur d’éclairs furibonds) et ça me fait encore le même effet. Ce sentiment d’être attaqué par une musique qui n’est plus que bête féroce qui veut te dévorer tout entier, s’agripper à la jugulaire, te vider de ton sang, célébrer ta chair, te pourfendre tout entier, te vomir, te rebouffer puis réduire tes os en poussière… J’aime particulièrement le moment « Home Depot FROM HELL » où on croirait entendre des scies circulaires en pleine action. Et puis cette saloperie prend tout son temps à imposer sa lourdeur dantesque. Chaque moment est gratuit, colossalement gratuit. Sont vraiment inhumains ces mecs… « The Seer Returns » continue l’errance dans cette nuit surnaturaliste et dentelée, avec la participation vocale aussi inouïe qu’inespérée de Jarboe, l’ancienne compagne de Michael Gira et deuxième tête pensante des Cygnes dans les années 80 et 90.

« 93 Ave. B Blues » est le moment le plus Scott Walker (ou « Maman, j’ai Peur ») du disque. C’est en quelque sorte la trame sonore de la rencontre entre Robert Johnson et ce bon vieux Satan dans un carrefour poisseux du fin fond du Mississippi dans les années 30… Dissonances, grincements insolites, éclatements percutants, cordes qu’on étripe, vocaux tout droit sortis d’un mantra indien dénaturé… Totalement habité, c’morceau. « The Daughter Brings the Water », avec sa néo-folk minimaliste et hantée, vint clore le premier CD de belle façon. Je ne parlerai pas du deuxième, tout aussi puissant. Je vous laisse découvrir la beauté spectrale de « Song for a Warrior » (chantée par Karen O), l’efficacité brute de « Avatar » (aucun lien avec le film avec les bonhommes bleus de Cameron, s’inquiète) et les deux morceaux-fleuves vertigineux de 20 minutes et plus qui concluent cette tentative irrationnelle et pourtant réussie qui est celle de nos acolytes : repousser la musique dans ses derniers retranchements.

Un disque comme il ne s’en fait pas. J’ai encore peine à croire qu’il existe.

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Shiina Ringo – 加爾基 精液 栗ノ花 (Kalk Samen Kuri no Hana)

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Édition : CD, Virgin Japan – 2003

Style : J-Pop, Rock Alternatif, Prog, Art-Pop, Electro, Folk, Jazz, Glitch-Pop, Gagaku, Bossa Nova, OVNI

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Note : ★★★★★

Le meilleur album pop de tous les temps est paru en 2003, au Japon (pouvait-il en être autrement ?), pays musicalement fêlé, contrée de tous les excès sonores, visuels, culturels, pornographiques, gustatifs, olfactifs… Son auteure ? Ringo Shiina. Une demoiselle d’à peine 25 ans, véritable ouragan musical sur 2 pattes, artiste totale qui compose/produit ses disques et qui maîtrise une multitude d’instruments, chanteuse « à la pomme » (le pseudo « Ringo », qui signifie « pomme » en japonais vient du fait qu’elle rougissait de gêne face à son public à ses débuts… mais faisant aussi référence à son Beatle préféré, ce cher mr. Starr si souvent mésestimé !) qui puise ses influences autant chez Édith Piaf que chez Nirvana, figure de proue du renouveau pop nippon survenu à la fin des années 90.

La jeune ado irrévérencieuse avait étonné en l’an 2000 avec son 2ème opus discographique, « Shōso Strip », déjà résolument à part dans la scène J-Pop du moment et proposant des morceaux tous plus éclectiques les uns que les autres ; d’authentiques tornades pop multicolores aux milles et une saveurs acidulées, avec toutes leurs guitares rugissantes et leurs cordes orchestrales délirantes lâchées sur nos tympans ravis, oscillant entre Grunge, Jazz, Trip-Hop et musique classique. Cet album, oeuvre de jeunesse vertigineuse à souhait, était déjà un monument en soi. Pour faire une comparaison un tantinet plus occidentale, c’était un peu son « OK Computer » à elle. Mais quand « Karuki Zamen Kuri no Hana » (la chaux, le sperme et la fleur de châtaignier… quel titre !) débarque dans les bacs trois ans plus tard, la Shiina n’est plus du tout la même personne. Dans le laps de temps séparant les deux albums, elle s’est marié, a donné naissance à son fils, a divorcé… L’ingénue fillette est devenue femme. Il y a de l’expansion aussi du côté de ses influences… Elle qui s’enivrait uniquement des musiques de l’ouest s’est réconciliée avec son pays natal et apporte une ribambelle d’instruments japonais traditionnels dans le nouveau paysage sonore aveuglant qu’elle va peindre ici (et ce, sans perdre néanmoins sa faramineuse Gibson colorée). Cela a beau être cliché de dire cela en parlant de musique mais ce troisième album est l’album de la maturité artistique pour Shiina. Et pour ramener Radiohead dans l’équation métaphorique, c’est un « Kid A » qu’elle nous pond là ; un gros pied-de-nez fou fou fou à un public médusé (elle en vendra d’ailleurs trois fois moins).

Shiina Ringo va construire ici ce qui s’est fait de plus incroyable (à mon sens) en matière de pop-muzik. Elle a réussit à parfaire la musique populaire au sens large, dépassant des artistes tels que Mr. Bungle, Björk, Frank Zappa, les sus-cités Radiohead et même les Beatles (sacrilège, quand tu nous tiens) dans leur démarche de perfectionnement d’une musique qui se veut universelle, accrocheuse, accessible mais aussi (et surtout) aventureuse, recherchée, expérimentale, foisonnante d’idées nouvelles… Cet album est une lettre d’amour en haute définition (+ feux d’artifices psychotroniques à l’appui) au 4ème art et à son histoire, de la musique japonaise ancienne (Gagaku), aux chansons folk d’Okinawa, en passant par la fugue baroque, la décadence sirupeuse des compositeurs romantiques, l’impétuosité stravinski-enne, le Swing des années 30-40, le Rock n’Roll et toutes ces choses post-modernes qui s’en sont ensuivi, de la musique électronique, au psychédélisme britannique des sweet sixties, à la luxuriance du prog-rock, aux riffs de guitares acerbes dignes d’un Slayer époque « Reign in Blood » et j’en passe. C’est vous dire la GRANDEUR architecturale d’un tel disque mesdames-messieurs.

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Pour commencer quelque part, il y a cette pochette toute éthérée, minimaliste, élégante, dépouillée. Mamzelle Shiina vous invite à prendre le thé dans une galaxie brillant de milles firmaments étoilés qui ne cesseront de vous éblouir… On met le CD dans le mange-disque. Premier stop sur une planète appelée « Shuukyou » (Religion) où l’on goûte à cet éther dantesque qu’on avait à peine cru imaginable. On flotte en apesanteur dans une mer de beauté brute et électrique. Voix multipliées de la déesse incandescente ; le spectre de George Martin plane au dessus du déluge sonore, dessinant d’une main divine des orchestres extra-terrestres par-ci par là. C’est la trame sonore de tous les films Disney réunis, avec l’apport non négligeable d’un groupe de rock qui joue chaque note avec tellement de force que le sang coule à flots de leurs mains sollicitées jusqu’à plus soif. Des passages Trip-Hop / Drum n’ Bass liquoreux viennent saupoudrer le tout de mystères opaques… Un mantra vocal démontrant la portée vocale fulgurante de notre prêtresse vient introduire la prochaine orfèvrerie tourmentée, la bien nommée « Doppelgenger », là où Shiina se démultiplie vocalement, musicalement, célestement ; se disloque littéralement pour nos oreilles abasourdies. Boîtes à musiques, flûtes, boîtes à rythme, clavecin et cordes-à-danser-vocales en cristal liquide. Il y a à peu près 8 morceaux musicaux qui s’affrontent ici dans un combat-à-mort qui se referme comme il s’est ouvert, comme une énigme bruitative. Merveilleux. « Meisai », c’est Shiina saoule morte et pourtant endiablée dans un bar-à-saké peu recommandé de la préfecture de Shibuya à 4 heures du mat. Elle y va d’un genre de Swing-Rockabilly-Surf complètement déluré et sexy à souhait. Les muzikos qui l’accompagnent sont des Jazz-Punk qui renversent toutes les tables pour faire de la place pour le basson colérique et les violons désaccordés.

S’ensuit une ballade au piano style « Charlie Brown » qui n’aurait pu qu’être finesse pure. Mais bon, pas chez Shiina Ringo bien évidemment car le tout est trituré par des espèces de fréquences radio-policières grésillantes et une guitare électrique distortionnée à souhait qui rappelle ce qu’à fait Michio Kurihara avec les mecs/fille de Boris sur leur superbe album collabo. Un bulletin de nouvelles prend alors toute la place pour un moment… Et on est transporté dans le salon de la dame. Elle passe l’aspirateur, la bougre. On est convié au quotidien d’une jeune mère célibataire qui fait ses tâches ménagères alors qu’une infopub sur le LSD vient de partir sur sa téloche, avec une trame sonore de Carl Stalling et Bugs Bunny qui s’amuse sur un clavecin branché sur le 120V. On retrouve notre ami George Martin version fantôme qui s’amuse à faire du Cardiacs juste pour rigoler. Le tout se termine de manière abrupte pour laisser toute la place à « Kuki » (Stem), le seul single de l’album. Et ce n’est franchement pas du matériau à top 20 auquel on a droit. Étrange morceau de pop-prog avec ses cordes oppressantes, son piano impressionniste et la voix puissante de l’alchimiste divine qui navigue en eaux troubles. Cette chanson est complètement à part dans un album symétrique de 44 minutes 44 secondes en ce sens qu’elle est la seule à ne pas répondre à une autre de la seconde partie qui va bientôt débuter (une autre lubie obsessionnelle de la princesse sur lequel je n’élaborerais pas plus).

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« Torikoshikurou » (Worrying Unnecessarily) est une orgie rocambolesque d’instruments japonais en perdition, de maboulismes en cantiques-vocaux en gelé, de lourdeur rock assourdissante-momentanée, de jazz débile et de « ooooh » et de « aaaaah » dignes des films de J-Horror les plus folichons (à voir absolument d’ailleurs : « House » ou « Hausu » du réalisateur complètement cintré Nobuhiko Ôbayashi). « Okonomide » (As You Wish) est un retour au jazz-bar de Shibuya, en formule plus apaisée cette fois. Mais il y a cette noirceur enfouie au cœur de la pièce qui monte monte monte en intensité petit à petit… avant de devenir un ogre en didgeridoo (les plus terribles selon les frère Grimm). Flûtes et insectes lovecraftiens à tentacules introduisent le morceau suivant, une sorte de jazz-rock qui rappelle autant le Brésil que Yuggoth. La guitare surf, la basse véloce et la batterie surdimensionnée viennent corrompre majestueusement la pièce la plus courte du disque (j’en aurais pris 20 minutes de plus). Ensuite, place à la valse des ectoplasmes (« Poltergeist »). On est transbordé dans le Phantom Train de Final Fantasy 6 version Edith Piaf sur les amphétamines. C’est beau, c’est beau, c’est tellement beeeauuuu !!!! Et ça reste pourtant complètement fou. C’est la Danse Macabre de Saint-Saëns mais avec des arc-en-ciels fumigènes et le Pont-Neuf à Noël en prime. Et comme cette merveille à malheureusement une fin, pourquoi ne pas terminer avec le morceau le plus ultime qui soit et le meilleur truc jamais pondu par Shiina Ringo selon votre humble chroniqueur ? « Souretsu » (ou « Funeral ») est une procession funéraire moyen-orienteuse qui rappelle le « Desert Search for Techno Allah » de monsieur Bungle mais sans le côté ridicule. Cela nous parle d’avortement. Ce titre est DENSE, incroyablement D-E-N-S-E. Étonnement, cela va encore plus loin que tout ce qui a précédé. La gravité est palpable. L’orgue se joint à cette cérémonie épique qui va autant chercher son heure chez les Égyptiens que chez les Aborigènes d’Australie (didgeridoo rulz)…. Le tout se termine dans un chaos sonore pétrifiant, un maelstrom noise effréné… un truc pas possible et probablement illégal sur un album pop. Et ça s’arrête subitement, sans crier gare. Magie d’une musique qui a réussit à nous confondre du début à la fin.

Bref… pour tous ceux qui en doutent encore (malgré mes propos pour le moins dithyrambiques), tout fan de musique au sens large se DOIT d’écouter ce disque dans sa vie. Et pas d’excuses de type « mais moâââââ, je comprend pas le japonais ». Il existe des tonnes de page avec des traductions de ce chef d’oeuvre intemporel sur les internet. Je doute franchement pouvoir aimer autant un disque pop que ce « Karuki Zamen Kuri no Hana ». Bien que Janelle Monae…

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Agalloch – The Mantle

Agalloch-the-MantleAnnée de parution : 2002

Édition : CD, The End – 2002

Style : Black Metal / Dark Folk / Doom / Post-Rock / Prog

Note : ★★★★½

Très très beau disque que voici. À l’instar de la démarche d’Opeth à travers un Death Metal onirique et bourré d’ influences progressives et classiques, les gars on ne peut plus talentueux d’Agalloch livrent ici leur vision poétique d’un Black Metal teinté de folk nocturne et de post-rock lancinant à souhait. On se trouve ici à mi-chemin entre le Ulver première vague, Godspeed you Black! Emperor et Anathema. On ressent aussi l’héritage de Pink Floyd, au point de vue des ambiances mais surtout du côté du jeu guitaristique qui rappelle parfois celui de David Gilmour. Mais bon… on ne parle ici que d’influences bien incorporées, car Agalloch possède son propre petit univers sonore et créé une musique qui lui est propre. Pour moi, ce qui caractérise avant tout le son de The Mantle, c’est son côté mélancolique et épuisé ; cet espèce de léthargie recouvrante qui peut en rebuter plus d’un. Malgré une tonne de fioritures, tant au point de vue de la composition de morceaux tout de même épiques que du côté du choix de l’instrumentation (on ne peut plus riche) et du travail d’habillage sonore, cette léthargie demeure l’aspect clé de l’opus. Pour ma part, j’en suis bien content car c’est probablement ce que je préfère dans ce deuxième album du groupe.

Dès les premières secondes de l’intro, on sent qu’on est bien loin des forêts de la Norvège, peuplées de fées, trolls et autres personnages mystiques tirés des receuils de sieur Tolkien. On se ballade plutôt dans la nature luxuriante mais non pas moins magique du nord-ouest américain (plus précisément de Portland, Oooooooregon, référence lynchienne que plusieurs ne comprendront probablement pas), entre verdure, grisaille, blancheur, tristesse et ennui. Dieu qu’on se sent seul à l’écoute de cette musique aussi morne que belle ! Cette lente traversée du pays d’Agalloch qui débute plus officiellement avec « In Shadow of our Pale Companion » sera contemplative, rythmée par une batterie qui prend tout son temps pour créer l’atmosphère parfaite qui nous recouvrira entièrement avant longtemps… Les guitares, versant autant du côté acoustique que classique ou électrique, viennent tisser des paysages célestes et immobiles… des tableaux qui sont comme figés dans la nuit des temps : natures mortes, sous-bois et champs recouverts par les brumes, vastes forêts où l’on pourrait se perdre à jamais, ruisseaux enneigés, grottes qui semblent s’ouvrir sur une noirceur infinie… Tout cela est si beau mais tellement désolé. Et les voix qui parviennent jusqu’à nos tympans en ces lieux sont distantes, presqu’irréelles… Tantôt claires, tantôt criardes, toujours fantomatiques ; elles semblent résignées, épuisées, ternies par les éléments. Ces voix sont comme des ombres ou des nuages qui viennent obscurcir momentanément l’horizon qui se dresse devant nous. Belle alchimie entre ces cordes qui s’entrecroisent avec limpidité, ces vocaux lointains, cette basse posée et à cette batterie qui fait office de canevas à la toile des peintres d’Agalloch. Mais d’autres sons se font parfois entendre dans l’univers poétique du groupe : un clavier atmosphérique, du piano, une contrebasse, un carillon, des cloches sur « and the great cold death », une mandoline et un accordéon sur la superbe pièce de clôture « a desolation song », ainsi que quelques samples magnifiquement intégrés, comme le mugissement d’un vent froid et le son de l’eau qui s’écoule.

Les perles abondent au travers du disque. À noter les superbes « Odal » et « The Lodge », morceaux instrumentaux particulièrement bouleversants. Mais ma recommendation, c’est d’écouter l’album dans sa totalité, du début à la fin. C’est là seulement qu’on peut entrer en plein coeur de cette oeuvre au gris. Voilà là un album raffiné, richement composé, empreint d’une atmosphère unique. Voilà aussi un album passe-partout ou « porte d’entrée », qui peut plaire autant au fan de métal déjà convaincu, qu’au fan de Rock sombre ou au fan de classique ou de prog (non obtu, certes). À écouter de toute urgence (suggestion : marche hivernale)…

P.S. Les fans mordus du cinéma de Jodorowsky reconnaitront sûrement un passage du terrible Fando y Lis du réalisateur mexicain !!! En plus d’avoir bon goût musicalement, les mecs d’Agalloch ont de bons goûts cinématographiques.

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Philippe B – Variations fantômes

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Édition : CD, Bonsound – 2011

Style : Folk de chambre, Classique, Pop

Note : ★★★★½

La rupture amoureuse est un des sujets les plus sur-utilisé en musique mais rares sont les artistes qui y dédient un album complet. La référence évidente est Beck Hansen et son « Sea Change » désenchanté mais on peut aussi penser à « Disintegration » des Cure (avec son « Pictures of You » déchirant) ou encore au « Blood on the Tracks » de Bob Dylan, qui relate en grande partie son divorce.

Avec ses « Variations fantômes », Philippe B inscrit son nom dans cette liste illustre et nous pond un petit chef d’oeuvre émotif qui nous fait vivre toutes les étapes du deuil amoureux : l’impression de rêve éveillé quand la nouvelle arrive, la douleur du choc, la dépression, la solitude, le repli sur soi, l’analyse anthropologique de la relation dans tous ses détails (qu’ils soient extatiques ou douloureux), le sentiment de manque, les souvenirs qui nous envahissent puis la tristesse résignée à l’idée de cet être aimé dont le parcours a pris un autre chemin de traverse… Tout cela, notre auteur-compositeur réussit à l’illustrer de manière poignante, avec autant de simplicité que de grandiloquence, à travers les pièces magiques de ce beau disque.

De plus, en plus de s’adonner à la confection d’une oeuvre cathartique jusqu’au bout des ongles, monsieur B voulait expérimenter avec cet album. Grand amateur de musique classique, il a lu que le célèbre compositeur allemand Robert Schumann disait, à la fin de sa vie, qu’il se sentait habité par les fantômes d’anciens compositeurs disparus qui le guidaient à travers l’écriture de sa propre musique. Trouvant l’idée bigrement intéressante, il a décidé d’injecter une dose (aussi discrète que délicieuse) de classique dans sa musique. Ainsi, les chansons de Philippe se retrouvent hantées par les spectres de Ravel, Tchaïkovski, Strauss, Vivaldi… Des passages magnifiques tirés d’œuvres de ces géants viennent se greffer au pop-folk mélancolique et dépouillé de notre homme. Mais il ne s’agit pas ici à proprement parler de « fusion » entre les 2 genres… Les moments orchestraux viennent plutôt sublimer les pièces du Québécois, les tapissant de couleurs irréelles et surréelles.

Il suffit d’entendre la gracieuse pièce d’ouverture, « Hypnagogie », pour s’apercevoir avec délectation que la démarche de monsieur B est un franc succès. Le tout s’ouvre avec simplicité sur cette guitare automnale et cette voix qui déclame un texte qui te va droit à l’âme puis… la magie opère… On est enseveli sous une mer de cuivres et de cordes majestueuses. Et ensuite, c’est le retour au minimalisme du duo voix/guitare qui te ronge les tripes. Moment incroyable que la première écoute de cette pièce pour votre humble chroniqueur. La suite n’est pas en reste, avec cet été triste comme les pierres, ou Rimbaud vie sa saison en enfer à Montréal. « La ballerine » est un amalgame savoureux du cygne noir (d’un compositeur Russe bien torturé comme il faut) et des meilleurs opus de Richard Desjardins.

« Petite Leçon de Ténèbres », c’est les tourments de la Renaissance réinterprétés au quotidien d’un homme contemporain qui s’emmure dans son appartement et s’apprête à laisser une autre nuit sans lune le recouvrir complètement, corps et âme. « Mort et transfiguration (d’un chanteur semi-populaire) » est désarmant de beauté et de naïveté. Philippe laisse son égo tomber au sol et se fout d’avoir l’air ridicule… Il pense à son ex-copine qui écoute sa chanson à la radio et qui danse dans sa chambre. Délicieuse tendance qu’à le cerveau de créer des scènes fantasques pour transcender la douleur du présent. Moment horriblement attendrissant que ce « Nocturne #632 » qui rappelle un peu ce qu’à fait l’excellent Jon Brion pour la trame sonore de « Eternal Sunshine of the Spotless Mind » (reflet cinématographique de cet album, s’il en est).

Après un bref interlude musical tout en douceur et en splendeur (« Le tombeau de Nick Drake »), « Reprise » nous offre un peu de fraîcheur pop kitschouille sympathique. « Ma photographe » est le retour au minimalisme avec cette guitare rappelant le génial sieur Drake ci-haut cité (un mec qui pourrait arracher des larmes à Genghis Khan). « Chanson pathétique » est un des points d’ancrage du disque et aussi la pièce la plus orchestrée d’un bout à l’autre. Sorte de messe des morts dédiée à la fin de la relation, ce morceau juxtapose milles orfèvreries sonores miraculées sur un texte aussi ambiguë que beau.

« California Girl » ouvre la tétralogie de la conclusion, là où le protagoniste a passé outre la pire période, mais se voit confronté à des remembrances du passé glorieux et a encore ses moments de faiblesses. « Croix de chemin » n’est que piano élégiaque et références christiques obtuses. Et c’est fichtrement ravissant, avec cet harmonica qui se retrouve accompagné par des ondes Martenot (où est-ce de la scie ?). Je vois « Marie » comme la fin d’un long parcours de tribulations. Le texte, qui révèle les mystères insondables qu’évoque toujours l’autre malgré des années de vie commune, est particulièrement réussi. L’album se termine avec « L’amour est un fantôme » qui est la synthèse apaisée de tout ce que vous avez entendu jusqu’à présent.

Je vous en conjure, chers amis. Laissez-vous envahir par ce disque fantomatique. Vous en ressortirez ému et grandi. Vraiment un des meilleurs artistes québécois actuels.

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Vashti Bunyan – Just Another Diamond Day

vashti_zpsdyp851wrAnnée de parution : 1970

Édition : CD, DiCristina Stair Builders – 2004

Style : Chamber Folk

Note : ★★★★★

Le disque le plus paisible de tous les temps ? Probablement.

C’est l’histoire d’une jeune fille, perdue dans ses rêves, la tête dans les nuages, les cheveux ondulant sous un vent bienveillant, sillonnant campagnes et villages d’Angleterre à la fin des années 1960, son violon à la main. Ou serait-ce les années 1560 ? Peu importe. Vashti est intemporelle et immatérielle comme le mistral. Vashti est la pluie qui tombe gentiment un joli soir de Mai. Vashti, c’est les feuilles qui s’envolent, emportées par les bourrasques d’automne un beau jour où le ciel est d’un bleu d’azur étincelant. Vashti est le Soleil qui se couche sur la plaine à toutes les époques du monde, ainsi que la lune qui se lève magnifiquement pour nous irradier de sa luminescence des plus envoûtantes. Vashti est un poème ; ou plutôt un sonnet. Simplet. mais luxuriant. Qui va à l’essentiel. qui nous révèle toutes les richesses de ce monde. De la nature. De la sagesse des animaux. Et de la vie.

Vashti avait composé plein de belles chansons et a décidé d’enregistrer un disque. Elle y a mis toute sa fraîcheur et sa pudeur. C’était un joyau brut, un ensorcellement qui happait à grands coups de douceur. Des chansons de voyages, de saisons enchantées et d’éléments en extase. Des chansons murmurées par une voix d’ange et appuyées par une instrumentation des plus sobre : violon, guitare, banjo, harpe, orgue, piano, flûte et mandoline.

Le disque fut ignoré à sa sortie. Trop gentil. Trop beau. Trop discret. Trop limpide.

Dévastée par cet « échec », Vashti arrêta de faire de la musique et se consacra à la vie. Ses enfants, sa ferme, ses animaux. À son insu, petit à petit, son jour diamanté commençait à charmer par ci par là. C’est qu’il s’agit d’un charme tellement discret qu’il prend du temps à opérer, à franchir vents et marées. Dans les villes, on parlait « d’album culte » en discutant du seul et unique disque de la demoiselle disparue dans les limbes du temps. Des jeunes gens voulurent retrouver Vashti, la remercier pour l’impact qu’elle avait eu sur leurs propres œuvres. Devendra Banhart lui demanda conseil pour ses pièces et l’invita à chanter avec lui. Elle accepta. Les gentils garçons d’Animal Collective l’invitèrent à participer à un EP hors-norme qui demeure un des enregistrements les plus précieux de ma discothèque. Joanna Newsom vint lui rendre visite un jour où mme. Bunyan commençait à créer son second album, 35 ans après son premier.

Voilà l’histoire, toute coquette, de Vashti Bunyan. Maintenant, ouvrez ce véritable livre de contes sonore qu’est « Just Another Diamond Day » et laissez-vous bercer jusqu’au sommeil le plus paisible de votre existence.

VBunyan