15 ToUNES – EP01 – Louis-Alexandre Beauregard

J’ai l’insigne honneur de vous présenter le premier épisode du nouveau projet de Musik TaTARI (le blog musical préféré des joueurs de marelle unijambistes et des lamas mangeurs de chair humaine) : les fabuleuses 15 TOUNES !

L’idée de base (très originale, j’en conviens) m’est venue lorsque j’ai demandé à mes amis et connaissances qui versent aussi dans la mélomanie aiguë de me pondre chacun/chacune une liste des 15 chansons/pièces/oeuvres musicales qui les ont le plus marqués au travers de leur vie. Comme vous savez tous (oui, même toi dans le fond de la pièce) : je suis un éternel curieux, toujours avide de nouvelles découvertes sonores incongrues. Et un nombre incalculable de ces découvertes se sont faîtes via l’entremise de passionnantes discussions avec d’autres amateurs de musique. Vous en conviendrez : autant l’appréciation de la musique peut se vivre de manière intensément personnelle, le plaisir n’est que décuplé lorsqu’elle est partagée avec d’autres personnes qui nous sont chères.

Donc, via un message sur le livre de faciès, j’ai sollicité plein de gens que j’estime à me sortir leur 15 morceaux marquants, exercice fort difficile en soi. Contre toute attente, j’ai eu un taux de participation ma foi très élevé ! L’intérêt était là. Et je me suis dit que je n’allais pas égoïstement garder ces magnifiques listes pour moi seul. Que nenni monseigneur !

La musique est partage. J’adore vous partager mes goûts. Et j’aime tout autant vous partager ceux de ces belles personnes. Cela se fera sous la forme d’une playlist hebdomadaire où je vous présenterai le jardin musical secret d’un ou d’une de mes acolytes.


Pour ce premier volume des 15 TOUNES de Musik TaTARI, l’élégant, sympathique, féérique et biconvexe Louis-Alexandre (accompagné de son inséparable flamant rose) nous offre une délectable sélection musicale.

Au menu : du Jazz spirituel LIBRE, du new age minimaliste qui fait chaud à l’âme, du rock choucroute bien funky, de belles chansons qui remuent tous les malins petit poil de l’entité corporelle, du drone narcotique qui vous fera voyager bien loin de cette même entité, de l’avant-folk, de la musique africaine ainsi que les éternels Garçons de la Playa !

Come il le dirait lui-même si bien : Come WONDER with him !

Tracklist :

01. Alice Coltrane – Shiva-Loka
02. Joanna Brouk – The Space Between
03. Can – Halleluwah
04. Silver Jews – I Remember Me
05. Townes Van Zandt – For the Sake of the Song
06. Roy Orbison – In Dreams
07. Daniel Higgs – Love Abides
08. Thee Silver Mt. Zion – Ring Them Bells
09. Eliane Radigue – l’île Re-Sonante
10. Mulatu Astatke – Yèkèrmo Sèw (A Man of Experience and Wisdom)
11. Pink Floyd – Cirrus Minor
12. Pharoah Sanders – Elevation
13. Serge Gainsbourg & Brigitte Bardot – Bonnie & Clyde
14. Marijata – I Walk Alone
15. The Beach Boys – Sloop John B

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Broadcast – Haha Sound

broadcast_hahasoundAnnée de parution : 2003

Édition : CD, Warp – 2003

Style : Dream Pop Psychédélique, Space Age Pop, Musique électronique

Note : ★★★★★

« I’ll always be here if you want to color me in » nous dit notre Trish adorée sur la pièce séraphique qui introduit ce 2ème disque officiel de Broadcast. Cette chanson nous demande poliment qu’on lui fasse une petite place dans notre vie. Et elle est patiente. Elle sait qu’elle y prendra uniquement sa place petit à petit, au fil des écoutes, au gré des années qui passent et nous changent, des joies et des peines, des expériences nouvelles… Elle nous accompagnera à travers tout cela et prendra progressivement ses teintes fantasques, magnifiques, surréalistes… Et on ne pourra plus jamais s’en passer de cette chanson magique. Douce nostalgie d’un futur qui ne s’est pas encore révélé.

Cette merveille de dream pop flottante passée, Broadcast nous assène tout de suite leur morceau le plus lourd et robotique ever. « Pendulum » est un brulot space-rock qui abrite en son sein bon lot de dissonances électriques. La rythmique est à mi-chemin entre le post-punk et le kraut-rock. Les sonorités empruntent à la musique industrielle et au no-wave (on pense presqu’à Suicide). Déjà en deux titres, Broadcast nous démontre l’expansion de leur vocabulaire sonore ahurissant. On retombe en territoire un peu plus connu avec un « Before we Begin » qui rappelle le précédent album. My Bloody Valentine passé dans le collimateur de Joe Meek. Beauté plastique de la pop 60s croisée à un prod électronique rétro-futuriste. Que c’est beau. Et pour continuer dans le resplendissant, on se tape ensuite une reprise/adaptation du thème principal du film Valerie and her Week of Wonders, chef d’oeuvre de la nouvelle vague tchèque et un des films de « genre » les plus éblouissants qui soient (c’est accessoirement un de mes 10 films préférés, tous genres confondus). On savait que le couple Keenan/Cargill avaient de bons goûts musicaux mais ce sont aussi de fins cinéphiles ! Vraiment plaisant de retrouver Broadcast dans un contexte plus folk (bien que trituré de bidouillages électro-analogiques).

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Autre beau morceau de dream pop gorgé d’échos lancinants, « Man is Not a Bird » est surtout remarquable pour sa batterie à la fois agile et aquatique. Ceci est Kraut-licious à souhait. Le petit coda nous rappelle les travaux électroniques de Delia Derbyshire et c’est évidemment exquis ! Le rêve discographique se poursuit jusqu’au petit instrumental très chargé « Black Umbrella », encore un hommage réussi à la musique de bibliothèque (j’adore cette appellation). « The Ominous Cloud » est une autre de mes chansons préférées du disque. Apesanteur céleste dans cette mer de nuages chargés d’une électricité psychotronique. « Distortion », c’est Broadcast en mode Sun Ra Arkestra. Dissonant, confus, instable, expérimental à fond ; avec ces rythmiques jazzy/avant-gardistes. Et on dirait bien que Stockhausen s’est invité à la jam-session sur la fin ! « Oh How I Miss You » est une très courte complainte dont le message est, aux dires de plusieurs, adressé à leur amie Mary Hansen, guitariste/chanteuse de Stereolab qui, lors de l’enregistrement du disque, venait de périr dans un tragique accident 😦

« The Little Bell » est une de ces berceuses énigmatiques-minimalistes dont seul Broadcast a le secret. Autre grand moment de musique qui arrive tout discrètement : « Winter Now ». Je l’écoute présentement alors que par la fenêtre j’admire la chute majestueuse d’une cohorte de flocons et je me sens tout chose… Cette pièce est pure magnificence. On dirait un de ces girls-group 60s produits par le psychopathe préféré des petits et grands (Phil « Sirop » Spector) mais au ralenti et avec encore plus de reverb. Le mur de son du refrain m’amène toujours des images de ces niveaux hivernaux dans Mario 64, pour une obscure raison. Enchanteur as Fuck. Comme à leur habitude, Broadcast nous balancent leur superbe en pleine gueule avec le dernier titre du disque : « Hawk ». Encore un mystère que cette pièce de cloture qui est aussi rêveuse que chargée. Des touches Morriconesques (les arrangements, bordel de bordel !), une rythmique hypnotique et une Trish plus désincarnée que jamais… Le genre de morceau à écouter avant d’aller se coucher (rêves étranges garantis !).


Encore une fois, Broadcast frappe très fort (mais avec toute leur douceur caractéristique). HaHa Sound est facilement un des meilleurs disques pop du 21ème siècle ; le genre d’album qui rend un hommage éloquent au passé tout en étant résolument tourné vers l’avenir. Des mélodies énormes. Des arrangements somptueux. Des chansons impérissables. Un chef d’oeuvre.

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Faust – The Faust Tapes

faust-tapesAnnée de parution : 1973

Édition : CD, RēR – 2000

Style : OVNI, Collage fou et expérimentalement vôtre, Krautrock, Psyché, Musique concrète, Proto-RIO, Prog, Industriel, Tape Music, Drone

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Note : ★★★★★

Pour son troisième périple sonore, Faust signe sur un gros label (Virgin !)… et livre pourtant leur offrande discographique la plus confondante, la plus sautée, la plus abstraite, la plus démente, la plus biconcave, la plus siphonnée, la plus…. bon, vous voyez le portrait…

Ces Allemands sont cinglés. Génialement cinglés. The Faust Tapes, c’est un magnifique collage/patchwork déstructuré au possible, dans lequel on passe à travers milles et uns univers sonores (tous plus déconcertants les uns que les autres),  à la vitesse grand V… Passages bruitistes sur fond de bandes magnétiques étranglées/ré-assemblées/remixées/accélérées/profanées. Piécettes de piano mélancolique à la Satie. Musique concrète qu’on fait jouer à l’envers. Proto-Industriel glauque et martelant. Bla-Bla et exercices vocaux drone-space-rock. Machines électriques qui cauchemardent dans un studio fantôme. Impros de batterie noisy avec synthétiseurs asperger/sataniques à l’appui. Thème d’intro d’une sitcom opiacée sur la vie d’un dentiste pyromane. Croisement impie entre les trames sonores des jeux vidéos Silent Hill et Earthbound (qui n’existent pas encore en 1973, si il est nécessaire de la préciser). Délires proggy ambient flottants. Moments Saxo-RIO. Folk à la sauce Stockhausen. Et c’est sans compter les pièces que je ne peux décrire avec des mots tellement c’est fou.

On dirait qu’on est dans un gigantesque hôtel surréaliste (localisé derrière dans la narine droite de Man Ray) et que derrière chaque porte, se cache une piste différente de ce disque… Dès qu’on ouvre une porte, les sons nous assaillent, nous tétanisent l’appareil auditif… Et dès qu’on la ferme, ça s’arrête. Jusqu’à la prochaine porte qui révèle d’autres secrets sonores ébouriffants. Aucune transition logique entre les morceaux. Le tout est désorientant à fond, comme aucun disque ne l’est de cette manière bien particulière (dans ma collection, du moins). Cadavres exquis.

Et, à travers tout cela, il y a ces chansonnettes pop psyché magnifiques ; comme ce « Flashback Caruso » acide (que n’aurait pas renié un certain Syd Barrett) ou « J’ai Mal Aux Dents », véritable hymne faustien par excellence qui nous subjugue les sens avec son mantra vocal aussi fabuleux que profondément con (et ce sax quasi free jazz entrecoupé de triturations de bandes magnétiques)… Et impossible pour moi de ne pas parler du morceau de clôture : Chère Chambre… Une folk intimiste, nostalgique, épurée en diable, sur laquelle s’appose la voix apaisée d’un Jean-Hervé Perron qui narre ce texte poétique/métaphysique qui abreuve notre appareil à rêves d’un ailleurs fantasque…

Chère chambre tu m’as longtemps regardé
quand j’étais nu sur le lit, quand je restais
sans rien dire, longtemps. Tu dois me
connaître maintenant. J’ai vu le monde à
travers tes trois yeux. J’ai vécu dans ton
sein, tous mes instants vides, blancs, nuit
yeux ouverts sur des pensées sans fin qui à
force de se retourner perdent ainsi leur
sens, toutes mes humeurs et mes envies
mon échec solitaire quand je peinds si
longtemps chaque matin à grande peine et
sagement. Tu dois me comprendre
parce que toi non plus, ta femme/ferme (?) quand ça
claque porte, tes coins où passe le vent et
le froid et la catastrophe, quand tu veux
dire que tu ne sais pas. Je les connais, je
les ai observés. Toi aussi tu t’es ennuyée
ma chambre. Maintenant tout à changé.
Est-ce-qu’un sentiment trop fort encombre
Le paysage ? Il est si tenu et très
transportable. Je m’en sers souvent et
beaucoup l’acceptent. Je vois aussi que
certaines humeurs se répètent, espacées de
plusieurs années.
nous devons peut-être accorder nos passés?

Le meilleur album de Faust.

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Faust – Faust

faust-coverAnnée de parution : 1971

Édition : CD, RēR – 2001

Style : Expérimental, Krautrock, Psychédélique, Rock surréaliste, Musique concrète, Proto-RIO, Avant-Prog

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Note : ★★★★★

Cela débute d’une manière aussi inoubliable que cathartique… dans cette mer d’ondes radio mal réglées (sublime distortion)… puis dans le déluge statique, on entend le « Satisfaction » des Stones s’enchevêtrer au « All You Need is Love » des Beatles (ce qui provoque chez l’auditeur une sorte de capharnaüm cérébral exutoire, si il était nécessaire de le préciser)… Le sampling a ses (presque) premières armes. Et puis cette mise en bouche sonore s’estompe soudainement pour laisser place à une déclamation austère (« We’re playing the sets on the blow ! Just keep on waiting ! ») sur fond d’accords de piano vaguement avant-garde (Erik Satie sur l’hydrate de chloral)… On pense avoir droit à un peu de répit maaaaaiiiiiiis c’est bien mal connaître FAUST. Sans crier « gare! » (ni « autruche » ou « moissonneuse-batteuse » d’ailleurs), la grande fanfare déjantée/aliénée /saugrenue arrive en ville, pour votre plus grand bonheur. Trompettes angulaires, percussions syncopées en diable, divagations de claviers en perdition… Rarement musique n’aura sonné aussi… comment dire… AUTRE.

Et quand cette chorale d’alpinistes helvètes finement saouls (dont un sur l’hélium) débarquent vocalement dans le décor déjà passablement chargé (un chapiteau de cirque extra-terrestre composé à 28% de LSD + des monstres en barbe à papa), on ne peut s’empêcher d’essayer de danser frénétiquement (comme un cave) sur cette musique qui semble vouloir inviter tous nos sens en liesse à une sorte de fiesta déglinguée/impie. Notre tarentelle désordonnée se verra stoppée net quand on se retrouve figé par un passage de musique concrète assez traumatique merci… On vient de vivre « Why Don’t you Eat Carrots ? » dans son intégralité. Et plus rien ne sera plus pareil exactement dans nos petites vies…

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Cette pièce d’ouverture de ce premier album des Allemands de Faust reste un des plus grands morceaux de bravoure jamais endisqué sur notre bonne vieille Terre… C’est fou. Complètement maboul. Siphonné jusqu’à plus soif. Et pourtant pétrifiant de cohérence pour un groupe de vilains petits canards qui fut assemblé de toutes pièces par un journaliste de gauche (Uwe Nettelbeck) dans le but de rivaliser avec les grands groupes de prog british des jeunes années 70… Disons que son cerveau (liquéfié pour l’occaz) a du lui couler par tous les orifices à l’écoute de… cette CHOSE. On n’y trouve absolument RIEN pouvant ressembler de près (ou de très loin) à ce qu’on qualifiait de « rock progressif » à l’époque. Les gars de Faust ont toujours étés comme ça. Donnez leur un cadre. Ils vont le casser en milles morceaux et s’en faire des cure-dents de luxe. Des emmerdeurs géniaux. D’ailleurs, à cet effet, nos bonhommes avaient (selon la légende) une année complète pour pondre le dit disque. Il ont préféré passer la majeure partie de cette période (et de leur budget) à se gaver de fortes doses de Hashish et de Pilsner, en jammant épisodiquement comme les sauvages qu’ils étaient (et sont toujours en 2018, ; fait proprement ahurissant). Ils ont attendu d’être à deux poils du deadline avant de commencer à composer le disque… C’est pourquoi la face B du vinyle (Miss Fortune) n’est qu’un long collage complètement délirant des jams évoqués ci-haut (avec cette fameuse batterie motoriK que j’aime tant)… 3 jours de studio (en tout) pour un disque aussi novateur et bien fignolé, c’est presqu’impensable…

Impossible de ne pas parler brièvement de « Meadow Meal », deuxième piste de l’album. Une espèce de fièvre psych-folk-rock à laquelle se mêlent une panoplie de symptômes… comme ces passages « classique contemporain » astringents à la Stockhausen/Varèse, ces moments solennels à l’orgue qui rappellent les plus beaux moments des trames sonores de western spaghetti (Morricone) ainsi que ce simili-refrain à la fois aride et tristounet (« Line up! Crash the sound! You lose your hand, To understand, The accident is red! »). Du grand grand GRAND n’importe quoi. Mais tellement délicieux.

L’éponyme de Faust + des carottes glacées à l’érable/PCP + un bon système de son + plusieurs bonnes bières = EXTASE sonore.

Le meilleur album de Faust

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Panda Bear – Person Pitch

pbear2-person-pitchAnnée de parution : 2007

Édition : CD, Paw Tracks – 2007

Style : Collage surréaliste, Psychédélique, Surf Pop, Sunshine Pop, Ambient, Exotica, Disque expérience

Note : ★★★★★

Bonjour / Good Morning chers passagers. Vous pouvez déboucler vos ceintures en laine minérale et ornées de fleurs hawaïennes. Vous êtes arrivés à destination : le cerveau de Brian Wilson pendant les enregistrements chaotiques de « Smile » première mouture (n’oubliez pas votre casque de pompier !!!)… Noah Lennox est votre sympathique pilote mais il préfère vous avertir : il y avait du LSD dans tous les articles du menu servi à bord (oui ! même dans le « sans gluten » !). Si vous vous disiez justement que ça brillait drôlement dans votre champ de vision (en plus des zèbres qui explosent en firmaments laiteux et des ours chapeautés de FEZ multicolores et jouant du glockenspiel avec une ferveur toujours renouvelée), vous en connaissez maintenant la raison !

Percussionniste et chanteur du groupe Animal Collective, Noah (alias l’Ours Panda) livre son deuxième album solo en la forme de ce « Person Pitch » psychédéliquement vôtre. Ce disque est un sale trip, mes amis. Un genre de croisement contre-nature entre « Martine à la plage » et « 2001 Space Odyssey », avec en prime (et pour le même prix !) un peu de ukulélé pour les amateurs. Ou si vous préférez : c’est un pique-nique embrumé sur une plage interstellaire (et bordée par une mer d’astéroïdes) où dansent des chamans habillés de toges en diamants. Et au loin, on entend d’irréels chants de baleines fantômes s’entrechoquant au scintillement sonore des étoiles. Je sais… il n’y a pas réellement de sons dans l’espace. Mais « Person Pitch » est loin d’être réel. C’est plutôt un beau rêve dont on se réveille armé d’un sourire de défoncé mental et dont on à peine à se rappeler les moindres détails. On sait juste que c’était plaisant et positif. Et qu’on aurait donc le goût de manger 18 toasts sur un restant de braises de feu de camp.

Basé à 90% de samples diverses, l’oeuvre se veut un hommage ambiant-maximaliste à la Beach Muzik des années 60. Ce n’est pas un album à écouter en faisant votre vaisselle ou en faisant le ménage de votre chaumière (à part si vous accordez des qualités lysergiques à ces tâches ménagères… et là, je vous trouverais encore plus bizarroïdes que moi). L’écoute se fait mieux alors que votre postérieur est solidement posé sur un divan moelleux ou même dans votre lit, dans un état semi-comateux (avec l’apport non négligeable de bons écouteurs). Et là, vous entendrez la magie s’opérer. Et vous aussi, vous serez porté par ces guitares apaisantes, ces xylophones sucrés, ces chants électro-grégoriens, ces percussions tribales branchées sur un voltage très approximatif, ces synthés dérangés, cette voix qui se permute en milles et unes galaxies bruitatives… Et vous tomberez en amour avec cette ambiance cosmique totalement unique.

Un album à ranger à côté de « California » de Mr. Bungle et bien évidemment, « Pet Sounds » des Beach Boys.

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Mr. Bungle – Disco Volante

disco-volante-53836ee90a5b6-e1444934949258Année de parution : 1995

Édition : CD, Warner Brothers – 1995

Style : OVNI

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Note : ★★★★★

Comment définir l’immatériel imagé, le rêve éveillé, le grand trouble noctambule !?!… Derrière sa pochette emblématique on ne peut mieux choisi (« Un Chien Andalou », court métrage légendaire et absolument loufoque des génies que sont Luis Buñuel et Salvador Dali… ou serait-ce « Tetsuo », film japonais horrifique et tout aussi délirant ?), se cache un des albums les plus originaux de tous les temps mais aussi l’un des plus étranges et des plus beaux. « Disco Volante » est un cauchemar surréaliste, ni plus ni moins. C’est la trame sonore de votre sub-conscient, un long parcours comateux à travers une forêt ouatée où naviguent des pianos fantômes et autres lucioles hallucinés qui brillent de milles feux. Mr. Bungle nous ouvre les portes de son manoir hanté, où chaque pièce abrite son lot d’anomalies splendides. Tout y passe : Jazz, musique de cirque, rythme n’ blues, Death Metal, Rock déjanté, musique de film d’horreur, Techno débridé, claviers kitsch, bruits de vaisselles éclatés, Pop des années 50, passages bruitistes, Tango, Surf, musique du Moyen-Orient et un soupçon de sax de John Zorn (l’éternel larron) pour épaissir la mayonnaise sonore. C’est un peu comme si Frank Zappa, Danny Elfman et les Residents s’associaient pour concocter la musique d’un film de Ed Wood.

Difficile encore de résumer l’album en entier, tant ces pièces qui le composent sont diversifiées (et étonnamment indissociables). Le tout commence avec un court « Everyone I went to high school with is dead” très sludge (à la sauce Melvins) avec des changement de tempos biscornus. Changement de décor immédiat sur un « Chemical marriage » très cinématographique (on croirait entendre la bande son de Edward Scissorhands passée dans le malaxeur d’un organiste saoul !), avec ses sonorités à la fois fantaisistes et glauques. Le tout dérape dans la névrose avec « Carry stress in the jaw », véritable déluge trans-genre où Mike Patton, transmuté en dentiste satanique, récite des vers de Poe tout en hurlant comme un déchaîné sur des passages tantôt jazz, tantôt speed metal (complètement déstructurés, si il était nécessaire de le mentionner). Après un éclat qu’on croit final, la pièce se mute en surf hilarant (« the secret song ») où Patton imite à merveille le grand-père de la famille des Simpsons. Tiens, de la gerbe et des percussions : un savoureux mélange. Et c’est reparti pour un gros groove techno à la sauce irakienne (« Desert Search For Techno Allah »). On sent la touche Trey Spruance (principal compositeur de Mr. Bungle et maître des Secret Chiefs 3) qui confronte ici ces deux mondes pourtant si éloignés et ce, avec brio et un humour bon enfant. « Violenza Domestica » n’est rien de moins qu’une scène de ménage d’une famille italienne, où la figure paternelle, incarnée par Patton (qui nous narre le tout exclusivement en italien), pique une colère terrible sous les airs romantiques d’un accordéon. « After school special » est un petit morceau particulièrement dérangeant, supporté par l’orgue électrique de « Uncooked Meat Prior To State Vector Collapse » (c’est le surnom du claviériste). Il s’agit là d’un commentaire social sur l’abus des enfants, le tout étant présenté au 18ème degré.

On se frotte ensuite à un trash-jazz enlevant avant d’être poignardé, musicalement, par «Ma meeshka mow skwoz », qui semble être une transmission provenant d’un autre univers et captée avec l’apport non négligeable d’un vieux tourne-disque abritant déjà, au préalable, le spectre d’un jazzman inconnu (et pourtant génial). Maniaque et possiblement dangereux, Mike Patton hurle, crie, radote des trucs dans une langue extra-terrestre, se réincarne en Gollum du Seigneur des Anneaux, jubile, pleure et fait la moue. On tombe ensuite dans la terreur d’un « The Bends » foutrement ambiant, voguant à travers des passages tantôt oppressants tantôt aériens. L’ornithorynque (« Platypus ») se voit doté d’un hommage avant-gardiste digne des plus grands, avant d’être transporté une nouvelle fois à la plage (« Merry go bye bye ») où le Soleil californien nous gratifie d’une insolation rumba-bruitiste… « Disco Volante », c’est l’imaginaire dans toute sa pureté et sa liberté. Et quoi de meilleur en ce monde que de rêver un peu ?

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Mr. Bungle – Mr. Bungle

bungle-eponymeAnnée de parution : 1991

Édition : CD, Warner Brothers – 1991

Style : Rock Alternatif / Expérimental / Psychédélique / Ska / Metal / Funk / Variété / Contemporain / Toasts Brûlés / Vomi / Un peu de tout…

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Note : ★★★★½

Bienvenue chez les aliénés trans-genres à la graisse de renoncule. Le grand cirque burlesque ouvre ses portes à 4 heures du mat’ et vous êtes cordialement invité. P.S. : apportez votre portemanteau. Vous êtes fou ? Vous faîtes cuire vos gants de vaisselle à broil (un peu de fantaisie, les amis) tout en vous astiquant le manche à balai devant des peintures dadaïstes que votre oncle, un Portoricain borgne et nazi, a ramené d’un voyage intersidéral à l’intérieur de la narine gauche de Fellini ? Vous aimez vous tartiner les mamelons avec du beurre d’arachides (croquant, il va sans dire) tout en susurrant des mots doux dans l’oreille dévergondée d’une canne d’ananas qui est en fait la réincarnation de Charles Mingus ? Mr. Bungle est votre ami. Il ne se brosse pas les dents et fait la fête toute la nuit. Death-Polka pour tous ! J’ai échappé du Jazz dans le punch. Un punch à saveur de DÉMENCE ! Mouahahahah (ceci était un rire particulièrement démoniaque) ! C’est Vlad Drac (c’bon vieux Mike Patton) qui chante de ses milles voix (de crooner californien à chanteur de gospel torturé, en passant par la case Death Metal enragé) pendant que Trey, Trevor et Danny déconstruisent toutes les structures harmoniques connues. Et Zorn qui intervient dans la marmelade avec son sax bien trashysant ! J’aime énormément ces types. Encore plus que ma collection d’ongles de lépreux. Et tout le monde sait que je les aimes, mes ongles de lépreux, n’est-ce pas ? Enfin, « il ne faut pas oublier qu’avec toute fragmentation binaire, une relative augmentation post-moléculaire découle du mouvement ondulatoire des gammes » nous disait Jean Ferrat avant de se faire crisser dehors du syndicat des moustachus. Ici, tout n’est qu’hystérie collective, ambiances cartoonesques, hymnes festifs de détraqués sévères, faux-fuyants sonores, rock clownesque, ska satanique et funk débridé. Mr. Bungle sont les dignes héritiers de Frank Zappa, rien de moins. Et le meilleur reste à venir…

Talk Talk – Spirit of Eden

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Édition : CD, EMI – 1997

Style : Naissance du Post-Rock / Chamber-Pop / Art-Pop surréaliste

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Note : ★★★★★

Spirit of Eden est avant tout un disque improbable. Qui aurait pu croire que ce groupe de New Wave on ne peut plus commercial aurait retourné sa veste d’une manière aussi radicale ? J’aurais bien aimé voir les visages perturbés des représentants d’EMI à l’écoute de cet ovni discographique. Je les imagine assis dans leur tour d’ivoire, consternés, la sueur perlant sur leurs fronts dégarnis et se disant tour à tour « Où sont les hits ??? Où est la suite de IT’S MY LIFE ? Comment on va faire pour vendre ce truc ? ». Merveilleux pied de nez à l’industrie du disque que cet album (une raison de plus pour l’aimer). Spirit of Eden, c’est plus qu’un disque parfait. C’est un univers mystérieux, comateux, irréel, céleste, dépouillé au possible… C’est une toile de Dali qui aurait mystérieusement pris vie. C’est une nature impossible, se berçant dans les rafales d’un vent doux et dans une luminescence aussi étrange que belle. C’est les éléments (eau, terre, feu, air) qui pleurent toute la beauté du monde. C’est une musique épurée au maximum, sans concession aucune, qui va à l’essentiel (pas une note de trop). Et bordel que c’est bon.

Dès les premières secondes de « The Rainbow » (première partie d’un triptyque sans interruption avec « Eden » et « Desire »), on est projeté dans cet univers ci-haut décrit par une musique hybride, à la lisière du pop, du jazz, du prog, du blues et du classique. Des relents de trompette à la Miles Davis viennent s’accoupler majestueusement avec des cordes qu’on dirait sorties d’une composition d’Arvo Pärt. Place ensuite à un quasi-silence tout en drones noctambules. Si il y a quelque chose que les mecs de Talk Talk savent utiliser à bon escient, c’est bien le silence (qui devient ici la plus belle des musiques). Cet interlude tout en absence fait place aux claviers planants, à l’harmonica bluesy et nostalgique, à la basse enrobante, aux percussions minimales, aux notes de piano qui nous percutent directement l’âme et surtout à la voix vertigineuse d’un Mark Hollis (chanteur, claviériste et compositeur du groupe) en transe. Cette voix contemplative et spectrale, tout en murmures soutenus et en envolées tragiques, est le reflet de la mélancolie dans sa forme la plus brute. À travers ces trois longues pièce aux milles et un détails sonores des plus subtils, une montée quasi-imperceptible s’accomplit jusqu’à un climax ahurissant de volupté. C’est la naissance de ce qu’on appelle le Post-Rock, ni plus ni moins.

Après cette première moitié d’album faisant léviter à volonté, la splendeur se poursuit avec un « Inheritance » à faire pleurer un sociopathe fini. Cette musique a un coeur, c’est sûr. Les cuivres viennent ajouter une teinte impressionniste à ce morceau onirique, alternant atmosphères nocturnes et diurnes. « I Believe in You », sorte de Gospel-Folk désincarné, superpose des claviers aériens à une chorale fantomatique de voix féminines. Que dire de « Wealth », si ce n’est qu’à son écoute, on se voit planer jusqu’au plafond d’une cathédrale immense, contemplant les fresques divines, un sentiment de bien-être total recouvrant notre entité corporelle et spirituelle… Ça devrait être ça qu’on fait jouer à la messe.

Spirit of Eden, le plus magnifique suicide commercial de l’histoire de la musique ? Peut-être bien…

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Swans – The Seer

swans-the-seerAnnée de parution : 2012

Édition : 2 CDs, Young God – 2012

Style : Expérimental, Post-Rock, Folk, Gothique, No Wave, Blues, Industriel, Drone, Noise, OVNI, Terreur, 21th Century Schizoid Men (& Women)

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Note : ★★★★★

Tiens… Jusqu’à tout l’heure (et c’était déjà planifié depuis des lustres, je n’avais juste pas trouvé les mots justes pour parler de cette… immensité), j’étais bien décidé à vous introduire enfin aux charmes abominables de « Soundtracks for the Blind », l’autre testament des Cygnes, leur album double de 1996 qui avait mis fin à leur existence jusqu’à la réanimation du monstre dévoreur de mondes en 2010 par son géniteur, le père Gira. « Soundtracks » a été une révélation aussi glaçante qu’orgasmique pour votre humble chroniqueur masochiste… Il y avait TOUT dans cet album-foutoir-déréglé, TOUT ce qui me foutait la trique en musique à cette époque : du noise-rock ravageur qui te décapait la matière grise sans aucune subtilité, du post-rock funèbre qui t’arrachait le cœur à main nue pour passer dessus à coups de rouleau-compresseur (piloté par un Steve Reich réincarné en antichrist dément, au regard de suie et aux lèvres bordées d’écume), du trip-hop technoïde à la sauce Jarboe, du folk tout droit sorti du dustbowl era, de l’indus apocalyptique, du rock nihiliste de fin fond de saloon perdu dans la nuit sans lune d’une ville fantôme du sud du Texas… Bref, « Soundtracks for the Blind » est GRAND. Et il demeurera toujours un de mes albums préférés de tous les temps.

Mais, finalement, après une introspection cérébrale complète et totale, je ne peux me résoudre à en parler (du moins, pas maintenant…), parce que « THE SEER » est encore plus GRAND, encore plus colossal, encore plus mythique, encore plus noir (était-ce possible ?), encore plus fou, encore plus dépravé, encore plus monolithique, encore plus hypnotique, encore plus TOUT. C’est le disque des Swans qui s’impose maintenant à moi comme le plus essentiel. C’est un disque-expérience. C’est l’album qui va trop loin et qui s’en moque. Michael Gira et ses acolytes déments vont au delà de vos cauchemars les plus terrifiants. Et ils en raffolent. Visions d’apocalypse, trous noirs dans un cosmos impie, douloureuses hallucinations opiacées qui tarissent le cortex de manière définitive et totale, mathématiques d’une certaine forme de chaos… L’espace temps n’a pour eux aucune importance. Ces missives possédées pourraient durer chacune une heure, un mois, un an… Ils vont au delà du temps lui-même. Ils sont à la recherche d’un absolu qu’on pourrait croire impossible, et pourtant, au fil de ces incantations-répétitives-jusqu’au-boutiste, ils le frôlent périlleusement, et ce, pratiquement en tout temps. C’te musique, c’est comme une étoile qui s’apprête à éclater en Supernova à tout moment pour détruire absolument tout, mais qui n’y parvient jamais…. Coït interrompu et brutalement vicieux s’il en est. Swans, tout en conservant le son élaboré sur le précédent opus (« My Father Will Guide Me Up a Rope to the Sky »), se cherchent sur ces 2 disques, cherchent à redéfinir l’innommable, se fondent en ténèbres sonores mouvantes, se noient dans le fleuve souterrain de la vie et de la mort, percutent l’irréel dans une course effrénée et sans fin…

L’Évangile selon Michael Gira. Voilà ce qu’est ce « The Seer », ou « le Voyant ». Ça s’ouvre sur « Lunacy », un espèce d’hymne désacralisé et post-apocalyptique qui fait autant penser à du Comus qu’au Nick Cave du début des Bad Seeds, avec en prime Alan Sparhawk et Mimi Parker du groupe Low qui entonnent ces chœurs dédiées à la folie. Dès cette première pièce, on comprend avec bonheur et horreur à quoi on à affaire. Ce son est communion. Ces musiciens sont dédiés à leur art et à cette vision totale et obsessive-compulsive de sieur Gira. C’est compact, lourd, carré, sans pitié et véloce à la fois. Et ça se termine avec cette guitare du sud et notre narrateur qui nous annonce que notre enfance est terminée… Quelle entrée en matière, non de dieu. « Mother of the World » est juste sans pitié. Cette rythmique, tudieu !!! (la percu est absolument mystifiante). Et dans cette répétition funeste dans laquelle se greffe des éléments faramineux, une voix dérangée et féline vient nous miauler un mantra incongru. Et là… silence. Et respirations saccadées. Puis ça repart comme un train bourré de nitro pour se fondre dans un coda psychédélico-psychotique de cordes acoustiques et de piano désespéré. La finale est vachement « godspeedienne » tout en évitant le sublime pathos de nos Montréalais préférés. « The Wolf » ou le squelette d’un morceau folk perturbé des années 40, avec ces field recordings pétrifiants qui viennent nous annoncer de grandes choses…

« The Seer » arrive. Petite anecdote personnelle. Après une journée intense de canot durant l’été 2012, je me suis endormi (après maintes bières) dans un petit chalet old school sans électricité, en écoutant « The Seer » sur mon lecteur mp3. Quand la chanson titre est partie, avec son délire de cordes quasi noise-celtiques, de cloches, de cornemuse ensorcelée, je me suis réveillé en sursaut et en sueur, dans l’obscurité totale, sans savoir où j’étais ni qui j’étais. Et j’ai eu la chienne en tabarnak. Le voyant, c’est 32 minutes en suspension dans un vortex d’anti-matière. Ça t’implose dans les oreilles et tu restes juste bouche-bée du début à la fin, un long filet de bave coulant au sol. I see it all, I see it all, I see it all, I see it all, I see it all… Fuck. Je l’écoutes présentement (alors qu’un orage dévaste le ciel nocturne, hachurant l’azur d’éclairs furibonds) et ça me fait encore le même effet. Ce sentiment d’être attaqué par une musique qui n’est plus que bête féroce qui veut te dévorer tout entier, s’agripper à la jugulaire, te vider de ton sang, célébrer ta chair, te pourfendre tout entier, te vomir, te rebouffer puis réduire tes os en poussière… J’aime particulièrement le moment « Home Depot FROM HELL » où on croirait entendre des scies circulaires en pleine action. Et puis cette saloperie prend tout son temps à imposer sa lourdeur dantesque. Chaque moment est gratuit, colossalement gratuit. Sont vraiment inhumains ces mecs… « The Seer Returns » continue l’errance dans cette nuit surnaturaliste et dentelée, avec la participation vocale aussi inouïe qu’inespérée de Jarboe, l’ancienne compagne de Michael Gira et deuxième tête pensante des Cygnes dans les années 80 et 90.

« 93 Ave. B Blues » est le moment le plus Scott Walker (ou « Maman, j’ai Peur ») du disque. C’est en quelque sorte la trame sonore de la rencontre entre Robert Johnson et ce bon vieux Satan dans un carrefour poisseux du fin fond du Mississippi dans les années 30… Dissonances, grincements insolites, éclatements percutants, cordes qu’on étripe, vocaux tout droit sortis d’un mantra indien dénaturé… Totalement habité, c’morceau. « The Daughter Brings the Water », avec sa néo-folk minimaliste et hantée, vint clore le premier CD de belle façon. Je ne parlerai pas du deuxième, tout aussi puissant. Je vous laisse découvrir la beauté spectrale de « Song for a Warrior » (chantée par Karen O), l’efficacité brute de « Avatar » (aucun lien avec le film avec les bonhommes bleus de Cameron, s’inquiète) et les deux morceaux-fleuves vertigineux de 20 minutes et plus qui concluent cette tentative irrationnelle et pourtant réussie qui est celle de nos acolytes : repousser la musique dans ses derniers retranchements.

Un disque comme il ne s’en fait pas. J’ai encore peine à croire qu’il existe.

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Boredoms – Super æ

boredoms-super-aeAnnée de parution : 1998

Édition : CD, Birdman – 1998

Style : SUPER

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Note : ★★★★★

Le meilleur album de tous les temps est japonais (je me répète mais… pouvait-il en être autrement ?). C’est le disK qui synthétise TOUT ce que j’aime en musique et qui, en même temps, redéfinit ce qu’est la musique comme forme d’expression artistique libre, synergique et totale… Imaginez vos rêves les plus fous devenus réalités lysergiques, messieurs-dames. Imaginez que vos fantabulations soniques les plus osées/déraisonnables se concertent obsessivement-compulsivement pour devenir une panoplie quasi-infinie d’univers-pour-tympans-opiacés-et-délurés-jusqu’à-pâmoison-orgasmique en 4D… non, en 5D… euh, en 15D + LSD… bah, avec les Boredoms on ne compte plus les dimensions. Cela va au-delà d’une spatio-temporalité que même le cerveau ravagé d’un Philip K. Dick en pleine déréalisation ne pourrait concevoir… Du bonbon grisant pour tous vos sens saturés à 70000000 milles à l’heure… IMAGINEZ : Can, Pink Floyd, Gong, Les Residents et MAGMA qui sont réincarnés en tant qu’enfants-autistes-superpsychiques du projet AKIRA et qui décident de créer une sorte de messe-liesse à l’intention des étoiles. IMAGINEZ ce bon vieux Captain Beefheart qui se la joue soudainement space-rock avec un nouveau Magic Band formé sur Canopus. Ça BRILLE, bordel. Ça grille-les-neurones-brille-brille-mes-frères-et-seuls-amis, nom d’une pipe en bois rond… C’est… meilleur et PLUS IMPORTANT que le meilleur disque de tous les temps… C’est tout simplement BIBLIQUE, ce truc. Et ça à une âme grosse comme une demi-trillion de camions citernes multicolores qui déversent des confettis explosifs-incandescents dans un canyon de lumière pure. C’est l’expression SUPRÊME de ce QU’EST la musique psychédélique dans toute sa splendeur tellurique. Aussi intensément rigoureux que Strav sur son Sacre divin, aussi ROCK-pur-jus que les Stooges à leur époque proto-punk triturée de saxophones acides, aussi AVANT-PROG qu’un CAN qui se refuse toute catégorisation, aussi délicieux qu’une orfèvrerie Beach Boys-esque à la graisse de renoncule, aussi tribal que des folies balinaises au GAMELAN, aussi planant que le Floyd des débuts dada-beat… OH !!! They dId the MASH !!! they DiD the MONSTER MaSh (HAPPY-Godzilla in tha house, avec des lunettes de Soleil rose-vermeille-poilues qui se la joue gangsta dans un néo-Tokyo imaginaire composé à 84,35% de tendre et juteux ananas) !!!!

J’ai découvert les Boredoms grâce à John Zorn, ce sympathique saxophoniste-compositeur-avant-garde-folichon-new-yorkais, qui utilisait les talents vocaux un brin particuliers de Yamantaka Eye (chanteur/compositeur des Boredoms) pour son projet GRIND-Jazz Naked City (à découvrir de toutes urgence pour les fans de musique violente, hyper technique et aventureuse). J’ai tout de suite été séduit-bluffé-terrifié par ces cordes vocales élastiquement vôtres… Ce n’était plus du chant. Ça allait au delà de tout ce que les Mike Patton, Björk, Scott Walker, Diamanda Galas, Enrico Caruso, Billie Holiday, Screaming Jay Hawkins et Tom Waits de ce monde pouvaient se permettre… Logiquement, dès que j’ai su que le mec avait un groupe bien à lui, votre détective au sourire si carnassier est allé à la découverte, sans peur ni regret. Je dévalai d’abord les pentes sinueuses d’un « Chocolate Synthesizer » (paru en 1995) magistral de « fuckitude » punk-noise-japonisante-KAWAÏ, dernier petit joyau de leur période première mais qui laissait entrevoir les débuts d’une musique plus « construite », tout en ne perdant rien de ce qui rend la musique de ces emmerdeurs irrévérencieux si attachants : la LIBERTÉ. De la grande musique de CRÉTIN-GÉNIAL. Le stop suivant dans la grande tournée des mondes inexistants serait ce « Super æ », l’oeuvre de transition SUPERlative entre le vieux-Boredoms et le Boredoms-nouveau (exit la TERRE, bande de petits truffions).

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Track-by-track, mes chers amis. Mais avant, pour vous mettre dans le contexte : un doux matin de Décembre, vous venez d’apprendre en z’yeutant la célèbre émission « Salut ! Bonjour ! » de L’E-X-C-E-L-L-E-N-T-E chaîne télévisuelle TVA que des scientifiques ont découvert l’existence de vortex intemporels (au Brésil et en Papouasie-Nouvelle-Guinée, plus précisément) qui mènent vers des dimensions jusque là inconnues… Et suite à cette annonce renversante, l’animateur-maison préféré des dames Gino Chouinard se met à danser frénétiquement une espèce de samba-expérimentale décadente « live » à la téloche. Et HOP ! Brutalement, comme ça : Gino se transforme en un Brocoli Géant… SACREBLEU !!! Un petit zapping à la BBC Newz et on nous dit que la première équipe d’explorateurs revient tout juste de sa première investigation dans ce macrocosme bordélique et ont rapporté, entre autres, des légumes-racines électriquement chargés (des genres de topinambours irradiés qui brillent dans le noir), des épices qui incendient les palais humains d’une manière jusque là insoupçonnée, de la fourrure de chacal étoilé eeeeetttttt surtout… un CD offert par un grand sachem perché sur une butte recouverte de gazon violet et de plantes carnivores. Ce disK serait l’occasion de découvrir la culture musicale de cet autre monde.

Super You : Accrochez vos écouteurs. Left-right-left-right. Ces divigations sonores introductoires se balancent d’une oreille à l’autre. Les sons sont aspirés, ré-aspirés, re-vomis. La vitesse change, double, triple, ça ralenti, ça va plus vite. Et soudainement, un gros riff de stoner acidulé vient faire irruption. Et lui aussi est aspiré à son tour dans un trou noir béant. Perte de repères. Trip hallucinogène de champis sur la montagne chauve pendant qu’un espèce de dude japonais à rastas t’actionne son chèche-cheveux thermodynamique à transmodulations variables à deux millimètres des oreilles. Black Sabbath sur les speeds dans une sécheuse à dry-spin. Jam band d’électro-ménagers. L’équivalent musical de se retrouver dans un blender branché sur le 110. Et cette finale percussive en forme de choucroute aux ogives me régale à chaque écoute jouissive.

Super Are : Les Boredoms qui s’adonnent à une certaine forme de New Age post-cosmique… Terry Riley qui mange des cierges d’églises au pesto pendant que des Incas se tartinent le corps avec de l’encens liquéfié. C’est terriblement beau et apaisé, surtout après ce premier morceau en forme d’infarctus. Notre bon ami Yamantaka nous susurre un mantra divin (« You aaaareeeee !!! »). Ça part en tribalo-kek-chose. Et la lourdeur électrique mal calibrée revient nous frapper en pleine gueule. Des tsunamis de larsens de guitares investissent notre cortex pendant que le mantra se poursuit. Interprétation kraut-rock-libre mettant en scène Magma et Sonic Youth + 700 batteurs. Dieu que j’aime le côté on-ne-peut-plus-percussif des Boredoms, dignes transfuges de Stravinski ci haut mentionné.  Le tout se conclut par ce torrent de voix qui agrémente l’album par-ci par là.

Super Going : Un TRÈS GRAND moment de musique… et possiblement mon morceau préféré d’un album qui n’a pas pourtant pas fini de nous surprendre… NEU! sont de retour en version bouddhiste-goa-trance les potes ! Possiblement le plus grand morceau de rock germanique de tous les temps… et créé par des Japonais ! Ils ont out-germanisés les Allemands les vils salauds ! De la grande musique tribalo-ritualistique-répétitive où la candeur bon enfant rime avec une certaine forme de violence rythmique sans égal. Un squirting orgasme infini mis en musique. Ça dure 12 minutes mais j’aurais pu en bouffer 700 000. Et quand on pense avoir finalement commencé à intégrer-digérer le détraquant délire et ses effets-spéciaux-psycédélicos-modulaires, il y a un espèce de revers totalement inattendu qui part-en-couilles-rythmiquement-parlant. L’aspirateur magique des Boredoms (qu’on peut maintenant considérer comme membre à part entière du groupe) se remet de la partie et syncope le tout. Un cri de bravoure héroïque fait repartir nos héros vers d’autres contrées acidulées. On termine dans un tel chaos, un essoufflement logique où les respirations des instruments qui pourraient s’apparenter à des chants de gorges se fondent dans un code morse approximatif.

Super Coming : HOLY FUCKIN SHIT que j’aime ce morceau !!!!!!!! Une guitare à la Faust introduit une scène de rue dans une Afrique de l’Ouest transposée dans la galaxie EGS-zs8-1. Il y a du Capitaine-Coeur-de-Boeuf dans l’air alors que Yamantaka fait sa meilleure personnification du célèbre chanteur-peintre texan. Vocaux d’homme des cavernes sur un trip d’inhalation d’essence, offensives guitaristiques noisy-licieuses qui virevoltent un peu partout dans l’éther, batterie ultra binaire rappelant le « It’s a Rainy Day (Sunshine Girl) » de Faust + une basse toute en pesanteur qui l’accompagne avec brio, chœurs mescalins venant porter renfort au soliste-en-transe, cris déments dans la nuit sauvage… Puis cette finale plus Can que Can-tu-meurs (ça me rappelle leur « She Brings the Rain »). Une autre chanson (?) de 12 minutes stupidement géniale OU génialement stupide, c’est selon.

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Super Are You : La seule pièce qui rappelle pas mal l’ancien Boredoms schizoïde, avec un début tout en ribambelle-dada-punk triturée par les adorables hurlements post-juvéniles de Eye, ces synthés kitschounets de série Z qui pondent des sons atrocement merveilleux, cette batterie iconoclaste où vient s’ajouter une collection de casseroles, cette guitare désaccordée (qui n’en a d’ailleurs vraiment rien à foutre d’être désaccordée). Le maître mot est FUN. Des explosions, des changements de styles à toutes les 2 secondes, des mélodies complètement autistiques, du gros bruit qui tache, des amplis ultra-cheap qui défoncent, des instruments-jouets à foison (ToyS R’Us meets the AvAnT-GaRdE). on dirait Mr. Bungle mais si ils étaient Japonais. Tellement con. Mais tellement bon. On pourrait écrire une thèse de doctorat sur cette pièce et tout ce qu’elle contiendrait, c’est le mot « SUPER » 300 000 fois ainsi qu’un bout central de 53 pages où ce serait juste indiqué « AAAAAaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaAAAAAAAAAAAHHHHHHH !!!!!! » à répétition (en plusieurs polices différentes) + le dessin d’un coati à nez blanc qui joue de la flûte traversière en lançant des rayons lasers avec ses yeux.

Super Shine : La culmination grisante de tout ce que les Boredoms ont élaboré jusque là… En ouverture : le bad trip d’un Nintendo 8-bit. Vient ensuite la rythmique suprême, point d’ancrage de la pièce. Une rythmique qui serait en fait cousine distante d’une du Tago Mago de Can, mais avec un aspect africain (voir même reggae pour la basse) en plus. Cette rythmique de fous grandit, grossit, s’intensifie… Viennent se greffer différents éléments formidables, comme ces voix possédées par la joie d’être content d’être satisfait d’être heureux. Ça se distortionne tout autour, les claviers qui vrombissent, se dilatent, la musique s’entrechoque, se disloque en elle-même. Mais ya toujours la rythmique au centre qui elle n’en démord pas… C’est la folie messieurs-dames !!!! Des papillons gros comme des manoirs volent partout à travers ça, j’vous le dis. C’est Super Papillon leur chef, un Super-héros qui a été mordu par un papillon radioactif quand il était jeune. Il a un masque HALLUCINANT et des ailes en acrylique pure. Et puis il y a des moines tibétains qui se balancent aussi sur leur bol chantant. Et n’oublions pas l’homme avec une tête de nénuphar, avec sa cravate biconcave, ses gants de vaisselles toujours ajustés, sa montre arc-en-ciel prête à mordre des pissenlits à tout moment. La peuplade des fougères vient se joindre à la cérémonie néo-païenne qui a lieu près du Mont Fuji, à 4 heures du matin. On a décidé de faire frire la montagne. ou la faire « rire », je sais plus trop… Putain, j’ai échappé mon briquet.

Super Good : Miraculeux coda ambiant-prog-jazzé…. Parallèle à faire avec le dernier truc sur M.D.K. dont le nom m’échappe toujours. C’est beau en diable. C’est un peu la dernière scène de Aguirre de Herzog, avec les singes capucins sur le radeau qui flotte sur un Amazone surréel. Grésillements doucereux de matière grise. Comment prenez vous votre âme ? Tournée, le jaune intact s’ilvousplaît !

Bref… Je me suis égaré parce que ce disque est une substance illicite en soi. Son écoute est dangereuse et rend même dépendante à deux choses en particulier : la liberté et l’imagination. Super ae est plus que le super meilleur disque au monde entier. C’est l’expérience sensorielle d’une vie. C’est un monde où il fait bon se perdre ; où en fait on se perd délicieusement un peu plus à chaque fois. Avec les Boredoms, on sourit à la vie. Les couleurs sont plus belles. Les femmes sont plus belles aussi. La bouffe goûte meilleure. L’air est plus pur et le bruit du vent peut nous émouvoir. La magie existe encore. Si quelque chose d’aussi merveilleux peut exister et bien on se dit qu’on est chanceux de pouvoir faire parti de ce grand TOUT incommensurable qui nous abrite.

Best thing ever.